Cher nouveau papa, Le médecin a dit six semaines. Six semaines avant que tu puisses retrouver ta blonde. Six semaines avant que vous puissiez vous unir l’un l’autre, ardemment.

Six semaines avant que ce soit à propos de vous deux, et non plus à propos de vous trois. Six semaines avant qu’elle te regarde avec convoitise, plutôt qu’avec terreur, affolée à l’idée que tu puisses, dans un élan de passion trop longuement réprimé, lui saccager ce qui a été minutieusement recousu après la naissance votre petit trésor. Son docteur t’a dit que, dans six semaines, ce sera guéri.

Demain, ça fera six semaines. Et t’as hâte de l’arracher à son legging de maternité qu’elle porte «en attendant d’avoir complétement dégonflée». Tu la désires tellement que tu t’écœures. Ça prend bien le champion des égoïstes pour penser à ça, rien qu’à ça…

Arrête. Je le sais que t’es pas un pervers. Je te connais. Mais… les derniers mois ont été à propos d’elle. C’est ça? L’attention était tournée vers la future maman et son passager in utero, vers son ventre rebondi et son glow de grossesse. On a pris soin de ses nausées, de ses sacs d’épicerie, de son dos endolori, on a organisé un shower de bébé pour elle, engagé un photographe pour immortaliser son nombril sorti… Bref, on l’a traitée aux petits oignons parce que c’est ce qui est attendu, souhaité et mérité. Tu comprends ça. Mais tu t’ennuies de ta blonde. Tu penses qu’elle t’a oublié. Voyons, mon grand sensible… Ce n’est pas toi qu’elle a oublié. Elle s’est oubliée elle-même.

Cher papa nouvellement accrédité, Il est possible que, demain, ta douce sera prête, voire frémissante à l’idée d’accueillir ton souffle chaud contre sa peau… Après tout, elle était déjà éperdument amoureuse avant de te voir, toi, embrasser les minuscules bouts d’orteils de votre œuvre conjointe. L’homme et son enfant: l’image la plus sexy, la plus attirante qui soit. Cependant, il est aussi fort probable qu’elle ne sera pas aussi emballée que toi à l’idée de tester l’efficacité de sa suture, et ça, c’est sans considérer le facteur sommeil.

Comprends que ce dont elle a besoin, plus que jamais, c’est de tendresse. De la belle grosse tendresse virile livrée en quantité industrielle. Elle a besoin d’une tendresse régénératrice pour apprivoiser ce corps qui n’est pas revenu à ce qu’il était. De la tendresse pour apprivoiser la cicatrice de sa césarienne ou pour oublier que tu l’as surprise à enfiler cette monstrueuse culotte tapissée de serviettes sanitaires géantes, pour les écoulements postpartum.

Elle a besoin que tu lui dises qu’elle est belle. Qu’elle est femme. Qu’elle est désirable. Qu’elle n’est pas qu’une maman. Qu’elle est une amante, aussi. Et ça, c’est tout un contrat. Parce qu’elle ne s’en souvient pas. Elle a besoin que tu lui dises que ça ne presse pas, mais que tu as hâte de t’étendre auprès d’elle.

Aime-la, attends-là. Accoste le quai, mais ne sors pas la passerelle trop vite. Colle-la en cuillère, mais garde-toi de lui offrir ta fourchette. La peur, la douleur, le manque de spontanéité, tout ça, c’est temporaire. Si le corps n’a besoin que de six semaines pour se relever d’une naissance, l’esprit de ton amoureuse a peut-être besoin de plus de temps pour amadouer la pluralité de ses rôles et identités. Mais ce n’est pas parce qu’elle a besoin de temps qu’elle n’a pas besoin de toi. T’es son homme. Et un papa extraordinaire.

Alors, ce soir, suggère-lui de faire du peau à peau. C’est pas juste bon pour le bébé, ce fameux contact-là. C’est aussi essentiel pour le papa et la maman. L’homme et la femme. Sois patient. Et arrête de compter les semaines. Fais-moi confiance: tôt ou tard, elle se souviendra… Et elle saura où te trouver.

Stéphanie Bourgault-Dallaire est l'auteure de Abigaëlle et la séduction prénatale , Libre expression, 224 pages, 22,95$.