Dans Nelly, Mylène Mackay crève l’écran. Écrit et réalisé par Anne Émond, le film est inspiré de la vie et des écrits de la romancière québécoise Nelly Arcan, qui s’est suicidée en 2009. Mylène y incarne quatre personnages, représentant chacun l’une des nombreuses facettes de l’artiste: l’écrivaine, la star, l’amoureuse et la putain. Toutes sulfureuses, tristes et angoissées, ces différentes Nelly projettent un mal-être si profond qu’il nous hante longtemps après le générique de fin. Et laisse au passage un arrière-goût amer, celui-là même qu’on éprouvait en refermant la quatrième de couverture d’un livre de l’auteure disparue.

Mylène parvient si bien à camper ces âmes torturées que c’est presque étonnée que je la vois entrer de belle humeur dans le joli café du Vieux-Montréal où nous avons rendez-vous. Et que je la découvre, au fil de notre conversation, enjouée, rieuse, taquine. Tout à fait lumineuse.

La comédienne de 29 ans roule sa bosse sur scène comme à l’écran depuis quelques années déjà. On l’a vue, entre autres, dans la télésérie Les beaux malaises et dans le film Endorphine, d’André Turpin. Mais elle demeure pour plusieurs un mystère. Plus pour longtemps, puisqu’à l’aube de sa sortie en salle, Nelly fait déjà sa marque dans les festivals internationaux, et que c’est indéniablement la jeune actrice, de tous les plans du film, qui porte l’œuvre sur ses épaules. «Les étoiles étaient alignées», me répond- elle, du tac au tac, lorsque je lui demande comment elle a obtenu ce rôle important. Et lorsqu’on regarde son parcours de plus près, c’est vrai que ç’a tout du destin…

Dès sa sortie de l’École nationale de théâtre du Canada, en 2011, Mylène cofonde Bye Bye Princesse, une compagnie de théâtre à vocation féministe. Mais, attention! «Pas féministe pour vendre plus de billets», se défend-elle, déplorant que ce terme soit aujourd’hui galvaudé. En collaboration avec l’actrice Marie-Pier Labrecque, elle crée la pièce coup-de-poing Elles XXx, course folle dans laquelle elles dénoncent le traitement réservé aux femmes dans notre société tout en riant de leurs propres travers et paradoxes. Dans ce spectacle éclectique — bien reçu par la critique à sa sortie —, on traite entre autres de séduction, d’anorexie, de chirurgie plastique, de danseuses nues, de marchandisation du corps féminin… Ça vous rappelle quelqu’un? «On a fait énormément de recherches pour monter cette pièce, explique Mylène, et l’une de nos plus grandes inspirations était Nelly Arcan, autant la femme que l’artiste. Je me suis sentie connectée à elle tout au long du processus de création. J’en suis venue à lui porter une affection particulière, même si je ne l’ai pas connue personnellement.» Comme les écrits de Nelly, Elles XXx ne fait pas dans la dentelle. «C’est direct, cru. Certains des numéros — notamment celui où je dois me mettre seins nus sur scène — m’ont mise en danger et m’ont permis d’entrer dans une zone qui m’était jusqu’alors inconnue. Cette expérience m’a préparée, d’une certaine façon, à jouer dans Nelly. Quand j’ai lu le scénario d’Anne, j’ai su que j’étais prête.» Et, visiblement, elle l’était.

À quelques jours de la sortie du film, c’est devant un latte, confortablement installée dans une banquette rose pastel et un gros pull de laine que Mylène Mackay s’est laissé découvrir, sans retenue. Moments choisis.

On en sait très peu sur toi. Impossible, sur les médias sociaux ou ailleurs, de trouver des bribes de ta vie personnelle. Ta discrétion est-elle délibérée?

Oui et non. Je suis assez timide, ce qui explique en partie pourquoi je garde ma vie privée… privée! Mais si je ne partage pas mon déjeuner sur Instagram, c’est surtout parce que je suis terriblement peu douée pour la technologie! (rires) Mes parents sont très hippies et ont toujours redouté la techno. À preuve, il n’y a jamais eu de micro-ondes à la maison, parce que mon père avait peur que ce soit dommageable pour nos cerveaux! J’ai mon premier téléphone intelligent depuis quelques mois seulement, et je l’ai caché à ma famille pendant un temps, parce que d’une certaine façon, j’avais le sentiment de la trahir. Ç’a donc été long avant que je me joigne au bal des médias sociaux… et même à ce jour je ne suis pas certaine de bien les comprendre!

Tu l’as dit plus tôt, tu es timide. Comment anticipes-tu la célébrité qui accompagne souvent les grands rôles au cinéma?

Je crois qu’être une «vedette» peut être simple. Lors de la promotion du film Endorphine, j’étais accompagnée de ma jeune collègue, l’actrice Sophie Nélisse. En entrevue, elle avait une aisance folle et réussissait à être elle-même, sans compromis. Ça m’a inspirée. J’essaie d’apprivoiser tranquillement l’idée d’être connue, en me répétant que je ne peux pas plaire à tout le monde. Et je tente de me ramener à l’essentiel, notamment en faisant du yoga et de la méditation, parce que la célébrité, c’est creux. Heureusement, j’ai été élevée par des parents marginaux, deux esprits rebelles qui faisaient les choses à leur façon et sans se soucier du regard des autres. Ça m’aide, aujourd’hui, à m’en détacher.

C’est d’ailleurs eux qui t’ont poussée à étudier en théâtre, non?

Oui, ils ont vu ce potentiel en moi. Mes parents sont jardiniers, ils possèdent une grande terre en région. Chez nous, on mangeait bio, on était végétariens, on s’habillait différemment… Et, quand tu es enfant, être différent, c’est difficile. Surtout dans un petit village, où les regards peuvent être lourds à porter. C’est probablement ce qui a motivé mes parents à prendre un pied-à-terre à Montréal, pour que je puisse fréquenter une école secondaire alternative. Je me préparais à devenir ballerine, mais c’est un concours de circonstances — ou le destin, je ne sais pas! — qui m’a fait atterrir en concentration Art dramatique. J’ai tout de suite eu la piqûre pour le jeu, sans me douter pour autant que j’en ferais un jour mon métier.

Mylène Mackay

Mylène Mackay porte une veste et un pantalon 3.1 Phillip Lim, un plastron Erdem et des boucles d’oreilles Rebecca Minkoff. Photographe: Max Abadian

Aujourd’hui, en plus d’être comédienne, tu es aussi scénariste. Les pièces que tu as créées jusqu’à présent, remplies de paradoxes, rappellent beaucoup les œuvres de Nelly Arcan…

C’est vrai! La création est une partie importante de mon travail, et Nelly m’inspire beaucoup. Elle était une artiste extraordinaire, mais on ne l’a jamais prise au sérieux. Elle était jugée sur son apparence, peu écoutée et, pourtant, elle élevait le débat littéraire. Ce que j’admirais chez elle, c’est qu’elle avait l’intelligence de dénoncer tout en ayant l’humilité d’avouer qu’elle, même au front, avait perdu le combat. Qu’elle était emprisonnée dans le besoin de plaire, dans le regard des autres. Elle exorcisait un mal présent chez tellement de femmes. Mais on la ramenait toujours à sa putasserie. C’est désolant. Ma mission, dans le film, c’était entre autres de rendre justice à l’intelligence de Nelly — et d’Anne Émond, d’ailleurs. J’espère qu’en le voyant, les gens auront envie de revisiter son œuvre… et peut-être même de reprendre le flambeau de ses revendications!

Tu le reprends déjà un peu avec Bye Bye Princesse…

Oui, mais prendre la parole en tant que femme, ça fait encore peur. À preuve: Nelly avait le courage de dire tout haut ce que plusieurs taisaient, mais elle se faisait continuellement rentrer dedans. Quand j’ai créé ma compagnie de théâtre, il y a cinq ans, le mot «féminisme» faisait trembler. Aujourd’hui, on l’entend partout, tout le temps. Pourtant, j’ai l’impression que les femmes ont encore peur de s’exprimer, peur des représailles, peur de déplaire, peur de déranger… Je pense que c’est quelque chose qu’on doit toutes travailler.

Nelly est un film difficile à regarder par moments. Est-ce que ç’a été aussi difficile d’y camper le premier rôle?

C’est un film violent et doux à la fois. C’est une œuvre qui est somme toute poétique, malgré ses scènes crues. Ce n’est pas un biopic, ce qui m’a permis plus de liberté dans l’interprétation des personnages. Je voulais être crédible dans les quatre rôles, et il y en a pour lesquels ç’a été plus facile. Je me suis sentie tout de suite à l’aise dans la peau de la star ou de l’escorte, qui sont exubérantes, alors que l’auteure et l’amoureuse, plus en subtilité, m’ont donné du fil à retordre. Dans la vie, je suis une fille bubbly, de bonne humeur! (rires) J’ai dû plonger au cœur de moi-même pour réussir à communiquer la profonde tristesse, le cynisme et la lucidité de ces personnages.

Toi qui te dis pudique, comment c’est de se voir à l’écran dans des scènes de nudité souvent sexuellement explicites, voire violentes?

Me voir nue dans ce film ne m’a pas mise mal à l’aise, parce que la caméra n’est jamais vulgaire. C’est un film intelligent, délicat. Je n’ai jamais senti que ma nudité servait de faire-valoir. Quand j’ai vu le film pour la première fois, toute seule dans mon salon, je me suis regardée avec un certain détachement, sans scruter mon corps à la recherche d’imperfections. Étrangement, ce qui a suscité le plus d’impudeur durant le tournage, ce n’était pas de me déshabiller. C’était les scènes où je donne entièrement mon corps aux émotions, où je suis défaite, où mon visage se déforme et s’enlaidit sous le coup de la tristesse. Pas une fois durant le tournage je n’ai pensé: je dois être jolie. Extrêmement sensuelle, parfois, oui. Mais quand je joue, je veux surtout être vraie. Et j’ai l’impression d’avoir tout donné pour l’être.

Ta performance risque de faire jaser. Est-ce que la critique t’angoisse?

J’ai un gros défaut: je ne suis pas du tout prévoyante. Je suis une nostalgique, je vis dans le passé, pas dans le futur! (rires) J’ai envie de me laisser surprendre par ce qui s’en vient, sans en avoir peur. Est-ce que ce sera mon big break? Est-ce que ma performance plaira? Je ne peux pas le prévoir. Dans Nelly, j’ai donné tout ce que j’avais à donner, et c’est ce qui compte.

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