«Je me suis rendu compte à quel point c’est libérateur de pouvoir écrire sa vie sans restriction, ni dans le temps ni dans l’espace, loin du format de la chanson», glisse-t-il. À l’aube de ses 40 ans, marié depuis 10 ans, père de deux enfants, Corneille est plus transparent que jamais, comme en témoigne son autobiographie, Là où le soleil disparaît.

On découvre dans ce livre un être vulnérable, déchiré. Trop longtemps muselé de l’intérieur. Il a mis près de cinq ans avant de venir à bout de son histoire par écrit, retardant constamment le moment de relater les épisodes les plus douloureux de sa vie. Mais il fallait bien qu’il raconte un jour en détail, sans contrainte, sans faux-fuyants, la fatidique nuit du 15 avril 1994. Cette nuit où un groupe armé est entré dans la maison familiale de Kigali, avant de tuer son père tutsi, sa mère hutue, ses deux frères et sa sœur, de même que deux domestiques. L’adolescent de 17 ans, lui, était caché derrière le divan du salon. Il aurait pu, à la suite de cette tragédie, cultiver la vengeance, la haine, s’engager dans la radicalisation. «J’ai été sauvé par l’amour de mes parents, dit-il. Jusqu’à ce qu’ils meurent, j’étais habité par l’intime conviction que les gens qui m’avaient mis au monde m’aimaient et que, donc, j’avais ma place dans le monde.» Animé d’abord et avant tout par le désir de vivre, il a fui. Parmi les hordes de populations en déroute, pourchassé par les milices hutues, il a pris la route de la République démocratique du Congo. Il a ensuite rejoint des amis de ses parents en Allemagne, puis un oncle à Montréal, où sa carrière de chanteur allait prendre son envol avant de faire de lui une idole sur le territoire français.

Malgré l’amour pour ses parents qui l’habite toujours, il lui fallait aussi exprimer dans son autobiographie sa colère vis-à-vis de son père, qu’il admirait tant enfant. Lors de notre entretien, il laisse tomber: «Il y a un garçon de 17 ans qui en voudra toujours à son père d’avoir été responsable de la fin de ma famille.» Corneille lui reproche d’avoir menti cette nuit-là sur son identité et ses allégeances politiques, parce qu’il croyait se retrouver devant des milices hutues, alors qu’il s’agissait en réalité d’agresseurs tutsis. «La vérité nous aurait tous sauvés», écrit l’auteur. L’aîné de la famille s’en voudra toujours, quant à lui, de ne pas avoir pu protéger sa petite sœur de trois ans. «Je me rappelle ses dernières respirations. C’est mon plus grand sentiment de culpabilité», avoue le chanteur, les yeux dans l’eau.

Et puis, il y a ce secret qu’il a longtemps tu. À six ans, le chanteur subit des abus sexuels de la part d’une tante. Ces agressions, qui lui paraissaient jusqu’à récemment honteuses, ont fait de lui «un être qui vivait sa sexualité d’une façon pas du tout saine», admet-il. Mais ça, c’était jusqu’à ce qu’il rencontre l’amour de sa vie, Sofia. Qu’elle perce son armure. Et qu’il entreprenne, dans la foulée, une thérapie… dont Là où le soleil disparaît se veut, en quelque sorte, le prolongement. (XO Éditions).

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