Camille pensait n’avoir aucune raison de s’inquiéter. Jonathan et elle filaient le parfait bonheur. Tout récemment mariés, ils venaient de passer le temps des fêtes en famille et flottaient sur un nuage. Pourtant, un soir, cette Montréalaise de 24 ans a eu un pressentiment qu’elle s’explique encore mal aujourd’hui. Elle était seule à l’appartement à regarder des téléséries sur l’ordinateur de Jonathan lorsqu’elle a été tentée de fouiner dans le compte Facebook de son chum… C’est à ce moment qu’elle les a découverts. Une cinquantaine de messages. Des messages explicites qui n’avaient rien d’échanges amicaux. L’amour de sa vie, le gars à qui elle venait tout juste de jurer fidélité, flirtait en ligne avec une autre fille. «J’ai eu la sensation que mon cœur tombait du 20e étage», se rappelle-t-elle.

Lorsqu’elle l’a interrogé, Jonathan n’a pas su quoi lui répondre, sinon que cette fille n’avait aucune importance pour lui, que c’était elle qu’il aimait et avec qui il voulait faire sa vie. Et, puisque Camille l’aimait aussi, elle a décidé de passer l’éponge. Sauf que quelque chose s’était brisé. «Je n’ai jamais été une fille jalouse. Mais je me suis mise à surveiller ses courriels, son cellulaire et son compte Facebook. C’était vraiment malsain.»

À ce moment-là, Camille était loin de s’imaginer qu’elle vivrait plus ou moins le même scénario une deuxième fois. Puis une troisième fois. Jusqu’à ce qu’elle se décide à quitter Jonathan pour de bon. Elle devait se rendre à l’évidence: malgré tout l’amour qu’il lui portait — et elle n’avait aucun doute sur sa sincérité —, Jonathan ne pouvait s’empêcher de draguer d’autres filles en ligne. C’était plus fort que lui.

L’amour au temps du numérique

Jonathan a-t-il vraiment trompé Camille? Après tout, il n’a échangé que des mots, pas des fluides. La sexologue-psychothérapeute Anik Ferron est formelle: «S’il y a la notion de secret et de trahison, c’est de l’infidélité.» Cette dernière a mené une étude sur le phénomène encore méconnu qu’est la cyber-infidélité et a découvert qu’en moyenne, 33,4 % des personnes en couple ont déjà flirté en ligne, ce qui est une forme d’infidélité affective, tandis que 17,3 % ont eu des échanges sexuels par caméra web.

Il est vrai qu’à une époque où les médias sociaux nous permettent de retrouver notre amour de jeunesse, de rester en contact avec nos ex et de vérifier si notre nouveau collègue sexy est célibataire, les tentations d’aller voir ailleurs — ne serait-ce que virtuellement — sont nombreuses. C’est sans compter les applications comme Bumble, Tinder et Happn, qui facilitent les rencontres peu importe notre état civil. Et que dire des sites web comme Ashley Madison, spécialement conçus pour ceux qui désirent avoir des aventures extraconjugales!

Selon la sociologue Diane Pacom, il ne faut pas sous-estimer l’impact qu’a la révolution numérique sur nos rapports sociaux, y compris nos relations de couple. «Avant, la notion d’infidélité était plus claire. Les gens avaient aussi plus de temps pour réfléchir avant d’agir et ainsi réaliser les conséquences de leurs gestes. L’immédiateté des réseaux sociaux court-circuite cette réflexion. On a du mal à distinguer ce qui est réel de ce qui ne l’est pas», déplore-t-elle.

«J’adore ma femme et pour rien au monde je ne changerais ma vie. Ça peut paraître paradoxal, mais c’est la vérité. Il m’arrive simplement d’avoir besoin de vivre autre chose.»

Accro à l’intensité

Simon était en couple depuis 10 ans lorsqu’il s’est inscrit sur le site Ashley Madison. La première fois qu’une abonnée lui a envoyé une photo d’elle, il a figé. Mais la curiosité a finalement été plus forte que la peur de se faire prendre. Au cours des trois dernières années, il a entretenu quatre correspondances, d’une durée de quelques semaines à plusieurs mois. Une seule a débouché sur une véritable aventure. «J’adore ma femme et pour rien au monde je ne changerais ma vie. Ça peut paraître paradoxal, mais c’est la vérité. Il m’arrive simplement d’avoir besoin de vivre autre chose», confie ce père de deux enfants.

Ce paradoxe, Simon n’est pas le seul à y être confronté. «Nous avons tous besoin de stabilité dans notre vie. Le problème, c’est que la routine est le pire ennemi du désir. Le désir a besoin d’intensité», résume Anik Ferron. Et quoi de mieux que quelques textos sulfureux pour la faire grimper d’un cran?

Sylvie a eu ce genre d’échanges épistolaires incendiaires avec un homme marié pendant trois mois, sans jamais le rencontrer. Chaque jour, elle lui écrivait ses fantasmes, comment elle imaginait qu’il lui faisait l’amour, sachant qu’il se masturbait en lisant ses messages. «Et puis, j’ai commencé à avoir peur des conséquences de cette relation sur ma vie, mais mon attirance envers lui était si forte que c’était comme une drogue», confie-t-elle.

Anik Ferron confirme qu’il est facile de devenir accro à ce genre de liaison. «Au début d’une relation, notre corps sécrète de la phényléthylamine, une hormone qui a les mêmes effets que la cocaïne, sauf que ça ne dure pas. On est constamment à la recherche de cette sensation d’euphorie, mais c’est illusoire», explique-t-elle. Selon la sexologue Marie-Christine Pinel, ce jeu de séduction est d’autant plus prenant qu’il booste notre ego. «On présente à l’autre une version améliorée de nous-même, on en met plein la vue, on peut passer des heures à nourrir cet échange chargé d’érotisme, on veut s’y plonger constamment pour se sentir plus grand, plus performant, plus désirable», observe-t-elle. Et, bien évidemment, en comparaison de ces décharges d’intensité, notre relation de couple au quotidien nous paraît tout à coup bien monotone.

Pourquoi on trompe?

Valérie n’aurait jamais cru qu’elle serait infidèle un jour, mais lorsqu’elle a retrouvé sa flamme d’adolescence sur Facebook, elle n’a pas hésité à lui écrire, à lui répondre et à lui récrire… Marc vivait dans une autre ville et était en couple depuis cinq ans. Pourtant, Valérie ne se sentait pas vraiment coupable d’entretenir cette correspondance. Il faut dire qu’elle traversait une période difficile avec son chum.

«Si j’avais été heureuse, je ne suis pas certaine que j’aurais basculé dans cette relation aussi facilement. Je m’évadais à travers les messages que Marc m’envoyait. C’était très romantique et ça me faisait énormément de bien. Je me sentais spéciale et intéressante. Bref, je retrouvais dans ces échanges ce que mon chum n’arrivait plus à me donner», confie-t-elle. Bien consciente de n’être pas tout à fait honnête avec son amoureux, Valérie n’a cependant jamais eu l’impression de le tromper. Et lorsque, six mois plus tard, Marc est finalement venu lui rendre visite à Montréal et qu’elle a réalisé que leur chimie n’était pas que virtuelle, elle n’a pas hésité à quitter l’un pour l’autre.

«L’important, c’est de tenter de comprendre pourquoi on entretient ce genre de liaison et de saisir cette occasion pour en apprendre davantage sur nous-même.»

Selon Marie-Christine Pinel, il existe plusieurs raisons, bonnes et mauvaises, d’être cyberinfidèle. «L’infidélité affective peut agir comme un levier parce qu’on manque d’élan pour se sortir d’une relation malsaine. Si on a tendance à la tromperie, cela équivaut plutôt à jouer avec le feu, parce qu’on entretient ainsi notre fragilité et qu’on met en place des conditions pour nous permettre de glisser vers l’infidélité physique.» Elle ajoute qu’on peut aussi flirter en ligne pour pallier une faible estime de soi ou simplement pour se sentir désiré. «Dans ce cas, l’infidélité affective peut être une solution à une faille personnelle et peut même nous empêcher d’avoir une relation sexuelle extraconjugale qui pourrait mettre en péril notre couple, poursuit la sexologue. L’important, c’est de tenter de comprendre pourquoi on entretient ce genre de liaison et de saisir cette occasion pour en apprendre davantage sur nous-même.»

Et après?

Découvrir des dizaines de messages dans lesquels celui ou celle qu’on aime exprime son désir pour une autre personne n’est pas moins douloureux que d’apprendre qu’il ou elle a fait l’amour avec quelqu’un d’autre. Dans les deux cas, il s’agit d’une trahison qui peut être extrêmement blessante. Si on se trouve dans une telle situation, Anik Ferron conseille d’éviter d’accuser l’autre ou de lui demander des détails qui font mal. Mieux vaut essayer d’exprimer ce qu’on ressent et de comprendre la responsabilité de chacun dans cette épreuve que traverse notre couple. Et si on se sent submergé par la situation, il ne faut surtout pas hésiter à consulter un spécialiste. «Parfois, ce genre de crise est nécessaire afin de remettre les pendules à l’heure», estime Marie-Christine Pinel.

Pour éviter de se retrouver dans une telle situation, la sexologue suggère de prendre le temps de définir avec notre partenaire ce que représente la fidélité pour nous. «Pour certains, c’est d’être exclusif sexuellement, pour d’autres, c’est simplement d’être honnête avec son partenaire.»

Simon, lui, croit qu’à partir du moment où on se ment, c’est une forme d’infidélité. Son histoire l’a mené à consulter un psychologue et il songe maintenant à se désinscrire du site Ashley Madison. «La grande majorité des gens trouve que l’infidélité est inacceptable. Je suis aussi de cet avis. Encore un paradoxe!»