Psychologie

La solidarité féminine existe-t-elle?

La solidarité féminine existe-t-elle?

Marie-Eve Tremblay/Collagene.com Photographe : Marie-Eve Tremblay/Collagene.com Auteur : Coup de Pouce

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La solidarité féminine existe-t-elle?

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«Faudrait que tu ralentisses un peu. Tu nous fais mal paraître.» Elle était plantée devant moi, les mains sur les hanches. Cette journaliste que j'admirais, avec qui je me liais peu à peu d'amitié, me lançait un avertissement. C'était au tournant des années 2000, dans une salle de rédaction. Cette femme disait tout haut ce que je ressentais depuis quelques semaines: je dérangeais.

En fait, ce n'était pas moi qui dérangeais mais ma performance au travail. Dans un milieu compétitif, où l'on pourchasse le scoop, je connaissais des débuts fulgurants. Mes collègues féminines, loin de me soutenir, ne me refilaient pas leurs contacts et ne soulignaient pas mes bons coups, au contraire. J'ai même entendu un jour: «Si elle a sa permanence avant X, on sort manifester.» Dans l'élan de ma jeunesse, arrogante et ambitieuse, ma seule réponse a été de redoubler d'ardeur.

Une décennie plus tard, alors que j'en suis à mes balbutiements dans la blogosphère, je me bute à nouveau à ce manque de solidarité. Dans les lancements et les événements de presse, la faune de blogueuses est souriante, avenante... mais la réalité est tout autre. Chacune cherche à briller dans un univers où le nombre de pages vues et de visiteurs uniques fait loi. Gare à celle qui multiplie les bonnes nouvelles et les tribunes: elle passe à la guillotine sociale.

Une copine blogueuse confirme: «Les filles se comparent beaucoup entre elles. Les ego prennent le dessus, et certaines ressentent de la jalousie. C'est le côté obscur de la blogosphère!» Nous rions de bon coeur, mais je sais qu'elle en a bavé alors qu'on parlait dans son dos et lui enviait les contrats qu'elle décrochait. Aujourd'hui, lucide et sereine, elle connaît ses alliés (et ses détracteurs) et poursuit son chemin, sans regarder en arrière.

Bien sûr, il y a sûrement des exceptions parmi les individus et dans certains milieux. Ceux de l'éducation et des soins de santé, par exemple, me semblent plus bienveillants. Une amie qui occupe un poste haut placé dans les médias, appelons-la Jeanne, me confie: «Le stéréotype de la bitch qui marche sur la tête des autres avec ses talons hauts est tenace... mais peut-être plus réaliste qu'on pense. Par contre, je dois dire que les personnes qui m'ont le plus aidée et guidée, ce sont des femmes. Il faut faire attention aux perceptions.»

Mes propres perceptions me joueraient peut-être des tours, donc. Pour m'éclairer, j'appelle Mélissa Blais, doctorante en sociologie et chargée de cours qui réfléchit beaucoup à ces questions. «La solidarité féminine est à construire. Elle n'est ni facile ni naturelle, et il y a plein de raisons à cela», explique-t-elle. D'abord, Mme Blais m'invite à réfléchir à la situation des femmes, en général. «Notre "catégorie" est encore discriminée et dominée dans beaucoup de domaines. Nous n'avons pas atteint l'égalité homme-femme, et la dynamique de la division nourrit ce positionnement social, dit-elle. La stratégie de la division pour mieux régner existe encore... Que ça soit volontaire ou non, certaines femmes créent des alliances avec les hommes mieux placés hiérarchiquement au lieu de s'unir aux autres femmes.»

L'individualisme ambiant ne favorise pas la solidarité, croit Mélissa Blais. La solidarité ne peut gagner tous les cercles si «chacune pense d'abord et avant tout à ses propres intérêts, son argent, sa carrière, son avancement». Je repense à des commérages méprisants entendus à l'égard de collègues: leur objectif n'est-il pas toujours de rabaisser pour mieux se positionner? Pourquoi ces jambettes mesquines? «C'est se tromper de cible que de se jalouser entre nous...» laisse tomber Mme Blais.

Jeanne se montre plus positive et optimiste: la situation des femmes a évolué à un point tel que le fait d'être une femme n'est plus, à lui seul, un «dénominateur commun». «On est ailleurs, dit-elle. Faudrait-il avoir plus d'attentes à l'égard d'une collègue parce que c'est une femme? Je pense que les alliances se font beaucoup plus maintenant en fonction du rang social: par exemple, deux gestionnaires de même niveau vont se soutenir devant le boss... peu importe qu'ils soient hommes ou femmes.»

Je pense aux liens, serrés, que j'entretiens avec mes voisines. À ceux, précieux, avec mes amies. Et à ceux, vitaux, avec mes soeurs. Les clés de la solidarité féminine résident peut-être là: dans cette bienveillance, ce respect, cette écoute, cette ouverture. Quand ça va bien, on se donne la main. Quand ça va mal, on offre son épaule. Un peu de douceur, les filles.

 

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