Comparer son ADN à celui de son amoureux afin de s’assurer de lui correspondre vraiment… On dirait une idée tirée d’un film d’anticipation! Et pourtant, plusieurs couples le font. Prenez Chandani Sheth et son fiancé, Steve Male. Ils étaient ensemble depuis trois ans et demi quand ils ont décidé de se tourner vers la science pour savoir s’ils étaient faits l’un pour l’autre. Ils ont eu recours aux services d’Instant Chemistry, une entreprise qui propose aux couples d’évaluer la complémentarité de leurs traits génétiques et de leurs personnalités. Après s’être inscrits, Chandani et Steve ont reçu un kit comprenant notamment des tubes de plastique pour recueillir les échantillons de salive, ainsi qu’un sac pour matières contaminées afin d’envoyer lesdits échantillons par messager. Ils ont également rempli un test de personnalité en ligne comportant 24 questions à choix multiples.

Le code amoureux

C’est cette même curiosité qui a poussé Sara Seabrooke et son mari, Ron Gonzalez, deux neuroscientifiques, à fonder Instant Chemistry, en 2013. Si les théories de la science du comportement sont bien établies, l’idée de les jumeler à un «filtre génétique» pour mesurer la compatibilité d’un couple est nouvelle.
 Sara s’appuie sur 20 ans 
d’études pour expliquer son approche. «Il a
 été prouvé scientifiquement que la satisfaction
 d’une relation à long
 terme repose sur deux constantes: d’une part, notre ADN et notre personnalité réelle; d’autre part, leur compatibilité avec l’ADN et la personnalité profonde de notre partenaire», explique Sara.

En plus d’avoir recours au test de personnalité créé par Joel Block, un thérapeute de couple de Plainview, dans l’État de New York, les chercheurs d’Instant Chemistry accordent une attention particulière à trois hormones qui ont une influence reconnue sur nos humeurs, mais aussi sur nos élans amoureux: la sérotonine (l’hormone du bonheur), l’ocytocine (l’hormone de l’attachement) et la dopamine (l’hormone du bien-être).

Plutôt que de mesurer le taux de ces hormones, Instant Chemistry analyse leur impact en fonction de notre génétique. Par exemple, pour pouvoir «voyager» du neurone qui la sécrète au neurone qui la reçoit (le récepteur), la sérotonine doit se fixer sur une molécule qu’on appelle un transporteur. Or, selon notre code génétique, celui-ci sera court ou long, et véhiculera plus ou moins de sérotonine. Si cette hormone, qui a un effet antidépresseur, n’est transportée qu’en petite quantité en raison de notre ADN, nous vivons les émotions négatives de manière plus intense. «Conséquemment, deux personnes qui ont la version courte de ce transporteur peuvent vivre une relation de couple très lourde émotionnellement», explique Sara.

Dans le cas de la dopamine, c’est la nature des neurones récepteurs qui change selon notre code génétique. Une personne qui a le récepteur appelé 7R+ aura tendance à prendre des risques et à être impulsive. Résultat: si elle fréquente quelqu’un qui a le même récepteur, elle n’a qu’à bien se tenir, car sa relation de couple ressemblera probablement à une folle virée en montagnes russes!

Le coeur ou la raison?

Certains chercheurs contestent la légitimité de l’approche scientifique d’entreprises comme Instant Chemistry. «L’hypothèse d’une compatibilité amoureuse génétique n’est appuyée par aucune preuve scientifique solide», dit Dan Davis, physicien et auteur du livre The Compatibility Gene (ou «Le gène de la compatibilité»). Ron Gonzales concède que la recherche sur la compatibilité génétique est encore jeune et incertaine. (Jusqu’à maintenant, sa compagnie a fait passer son test à quelque 500 couples.) «Mais nous ne ferons pas de progrès si personne ne veut aller plus loin et collecter des données», affirme-t-il.

Qu’elles soient prouvées ou non, il reste que nous sommes de plus en plus séduits par les explications scientifiques quand nous sommes aux prises avec des phénomènes aussi mystérieux que l’amour, selon Benjamin Karney, professeur de psychologie sociale et codirecteur du Marriage Lab de l’Université de Californie, à Los Angeles. «Notre appétit pour des solutions scientifiques aux nombreux problèmes que nous pose l’amour montre à quel point ces problèmes sont persistants et à quel point les gens voudraient obtenir de l’aide, dit-il. Les recherches méthodiques sur les relations intimes existent depuis moins d’un siècle. Certaines d’entre elles sont utiles, mais aucune ne donne les réponses faciles que les gens espèrent.»

«Les relations amoureuses ressemblent à ce que les physiciens appellent des “systèmes dissipés”: vous devez continuellement y investir de l’énergie pour qu’ils produisent de l’énergie», dit John Gottman, professeur émérite de psychologie à l’Université de Washington et cofondateur du centre de recherche Gottman Institute. Plutôt que de recourir à la génétique, le Dr Gottman se
fonde sur le langage cor
porel et les hormones
 pour analyser les relations amoureuses. Il a
 étudié des milliers de 
couples de près et prétend pouvoir prédire avec une exactitude de 90 % si leur union va durer ou non. Dans son laboratoire, les couples sont incités à aborder des sujets de désaccord persistants, puis leurs taux d’adrénaline et de cortisol sont mesurés pour déterminer le degré de stress qu’ils se font subir mutuellement. Quant aux signaux corporels, le Dr Gottman considère que les attitudes exprimant le mépris, comme le fait de rouler des yeux ou de sourire sarcastiquement, comptent parmi les éléments les plus toxiques d’une relation.

Variations sur un même «t’aime»

Quand elle s’est préparée à épouser l’homme qu’elle fréquentait depuis quatre ans, Samantha Joel, une étudiante diplômée en psychologie sociale de l’Université de Toronto, n’était pas inquiète à l’idée d’investir de l’énergie dans son mariage. À condition de le faire scientifiquement. «Je voulais que mes vœux soient fondés sur des données concrètes et empiriques», dit-elle. Au lieu de promettre de chérir son époux, comme le veut la tradition, elle a rédigé 10 vœux basés sur les recherches des sciences des relations. Elle a notamment promis de respecter la liberté de son partenaire et de faire en sorte que leur vie à deux reste excitante. Le couple a accroché sa liste de vœux sur son réfrigérateur.

Si la science est en train de changer la façon dont nous pensons à l’amour, la notion d’âme sœur fait encore rêver beaucoup de femmes très sensées. Jusqu’à l’année dernière, c’était le cas de Mandy Len Catron, une professeure de création littéraire à l’Université de la Colombie- Britannique. «L’idée que le destin joue un grand rôle dans notre vie amoureuse est très forte», dit-elle, avant d’ajouter que, pendant longtemps, ses relations ont suivi le même schéma: «J’éprouvais une attirance irrésistible pour quelqu’un et je me sentais désarmée — ce qui n’était pas vraiment très sain.»

Elle a finalement décidé de trouver l’amour en adoptant la méthode du psychologue Arthur Aron. Selon ce dernier, deux personnes peuvent éprouver rapidement une connexion intime en se posant des questions personnelles, comme: «Si tu mourais ce soir, qu’est-ce que tu regretterais de n’avoir jamais dit à personne?» Après avoir répondu ensemble aux 36 questions formulées par le Dr Aron, les deux individus doivent se regarder dans les yeux pendant quatre minutes… plutôt intenses.

Mandy Len s’est prêtée à cet exercice avec une de ses connaissances, Mark, et a éprouvé un sentiment d’intimité qu’on ne vit habituellement qu’après avoir fréquenté quelqu’un pendant des semaines. Ils sont devenus des amis proches, avant de s’engager dans une sorte de «partenariat» amoureux trois mois plus tard. Ils sont encore ensemble aujourd’hui. «Mark pense que, même sans ce questionnaire, on aurait commencé à sortir ensemble, explique Mandy Len. Mais, pour moi, notre relation a quelque chose de vraiment délibéré.»

Le verdict

Deux semaines après avoir renvoyé leur test, Chandani et Steve ont reçu la réponse d’Instant Chemistry: un livret électronique de 27 pages comprenant le profil génétique de chacun d’eux et l’impact de celui-ci sur leur comportement, ainsi qu’une comparaison de leurs deux profils. Le livret donnait aussi un pourcentage représentant leur compatibilité générale, de même que des pourcentages spécifiques quant à leur compatibilité psychologique et biologique (compatibilité de leurs transporteurs de sérotonine, de leurs récepteurs de dopamine, etc.).

Le score de compatibilité générale de Chandani et Steve était de 89 %. Selon la compagnie, la compatibilité des couples qu’elle a étudiés est en moyenne de 75 %. Chandani a trouvé que les résultats étaient réconfortants.

«Les couples se disputent souvent et ne savent pas toujours pourquoi, ajoute-t-elle. L’un pense que l’autre est fou, et vice-versa. Le rapport nous a donné des conseils en fonction de nos personnalités. Par exemple, il a précisé que nous n’aimions pas la routine et que nous avions davantage besoin de stimulations que la plupart des couples. Ces observations peuvent vraiment nous aider.» Chandani a pu satisfaire sa curiosité, mais elle affirme que, peu importe ce qu’aurait révélé le test, elle n’aurait pas remis en question son désir d’épouser son fiancé. «Steve dit qu’à partir de maintenant je ne pourrai plus jamais dire que nous ne sommes pas compatibles, puisque nous avons la preuve scientifique du contraire, dit-elle en riant. De toute façon, nous savions que nous allions faire un long bout de chemin ensemble.» Comme quoi le cœur a ses raisons… que la biocompatibilité ne connaît pas!

Complexe, la chimie de l’amour!

À en croire certains chercheurs, ce n’est qu’une question de temps avant que la science nous donne enfin la clé de l’amour. Mais la magie d’un couple ne réside-t-elle vraiment que dans une éprouvette? «Dans les années 1960, la psychologie sociale disait que nos relations amoureuses étaient déterminées par des facteurs culturels et sociaux», dit Marie Hazan, professeure au département de psychologie de l’UQAM et auteure du livre Le couple: réussir l’impossible (Québec-Livres).

«Aujourd’hui, on pense qu’on peut tout expliquer par la biologie. Mais un couple, c’est une relation entre deux personnes complexes et ambivalentes: on peut vouloir vivre à deux et avoir des discussions rationnelles avec son partenaire, tout en cherchant inconsciemment à créer des problèmes. Pareillement, nuance la professeure, on peut s’entendre très bien avec quelqu’un, mais ne plus éprouver de désir pour lui, ou encore être très attiré par une personne qui ne nous ressemble pas du tout. Tout cela dépasse la notion de compatibilité. Par ailleurs, de nos jours, il existe toutes sortes de modèles de couple, ce qui est une bonne chose en soi. Mais il y a aussi cette idée que la vie est une sorte de “menu à la carte”, qu’on peut prendre seulement ce qui nous plaît. Or, conclut Marie Hazan, il y a parfois des difficultés dans une relation et, même si ça fait un peu vieux jeu, l’engagement est essentiel pour qu’elle survive.»

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