J’ai quitté mon Paris natal à la fin de la vingtaine pour aller vivre à Montréal. Rapidement, comme bien des Européens, j’ai repéré le Plateau et je m’y suis sentie comme un poisson dans l’eau. Et même si mes parents et ma famille élargie étaient restés à Paris, je savais d’instinct que j’allais m’établir ici et que je fonderais ma famille avec un Québécois. Il serait beau, grand et fort, bien sûr. Je l’imaginais dans la peau d’un as du milieu de la pub, en brillant mâle alpha. Il saurait décrocher du quotidien, et le week-end, on fuirait ensemble en campagne. Il saurait cuisiner en plus de connaître le vin, l’art, l’opéra. Il me ferait des enfants et m’aimerait comme un fou. Rien de moins!

Peu après mon arrivée au Québec, je me suis composé un cercle restreint d’amis. Martin était gai jusqu’à la moelle, et drôle comme un singe. Il m’a présentée à sa meilleure amie, Annie-Claude – gaie elle aussi. Tous les trois, on s’amusait à essayer des restos, à traîner dans les petits bars, et la vie nous semblait être une fête perpétuelle. Mais bientôt, je suis devenue lasse des soirées sans lendemain et des amants de passage. J’ai eu envie de me poser. C’est d’ailleurs à cette époque que je suis devenue proprio. Mes aspirations changeaient. Je ne rêvais plus que de soirées en amoureux, de week-ends romantiques, de bébés… Pourtant, côté relations sérieuses, c’était le calme plat. J’avais beau chercher, je ne trouvais pas l’homme de mes rêves. Et même si j’étais bien entourée, je me sentais complètement seule. Je commençais à me demander si moi, Parisienne munie d’une grande gueule, je n’effrayais pas un peu les Québécois…

«J’ai embrassé Annie-Claude une première fois et je me suis enfin sentie aimée.»

Sept ans avaient passé depuis mon arrivée, et j’étais désespérée. «Tu es peut-être lesbienne.» Ce n’était pas la première fois qu’Annie-Claude me faisait des avances, que j’avais l’habitude d’ignorer. Mais un soir, terrassée par un sentiment de solitude, j’ai déposé les armes devant son désir et sa volonté de me séduire. Après tout, en plein retranchement, qui n’a pas envie d’autant d’attention? J’ai craqué. J’ai embrassé Annie-Claude une première fois et je me suis enfin sentie aimée.

Soyons clairs: de toute ma vie, je n’avais jamais ressenti de désir pour une autre femme et je n’avais jamais douté de mon orientation sexuelle. Je me suis aventurée sur son terrain comme on entre en territoire de paix, de ressourcement. Aussitôt, Annie-Claude s’est mise à s’occuper de moi comme si j’étais une reine, à tout mettre en oeuvre pour que je me sente la plus importante au monde. Elle m’invitait au resto, me disait que j’étais la plus belle, qu’elle me désirait… Nous pouvions passer des soirées et des week-ends entiers sous la doudou, à boire du vin, à s’aimer et à discuter. C’était génial. J’étais bien. J’étais un désert et, elle, une bruine douce et salvatrice. Nous sommes rapidement devenues un couple «officiel» auprès de nos amis. En public, elle n’hésitait pas à me prendre la main, ni moi à l’embrasser. Je tombais doucement amoureuse, et le fait que ce soit d’une femme n’était pas vraiment un enjeu à mes yeux. Au fur et à mesure que notre relation s’intensifiait, je ne la voyais plus comme une parenthèse. J’étais en amour, point.

Malheureusement, Annie-Claude, elle, n’était pas amoureuse. Je le sentais bien, mais j’essayais de l’ignorer car j’étais trop fragile pour faire face à la vérité. C’est comme si, une fois conquise, j’avais perdu de mon attrait à ses yeux. Elle a pris ses distances et a rompu après 10 mois. J’ai eu très mal. Outre ma douleur, une question existentielle subsistait: étais-je lesbienne? J’ai accepté l’invitation à souper de l’amie d’une amie pour me mettre à l’épreuve et comprendre que… non! Pas du tout. Si j’avais été amoureuse d’Annie-Claude, c’était parce que j’étais avec elle en terrain de confiance. Mais je savais, au fond de moi, que je n’irais plus vers les femmes.

«C’est une psy formidable qui m’a aidée à comprendre combien j’avais trop idéalisé l’amour et combien il était temps que je change ma perception des choses.»

Dès lors, mes vieux réflexes sont revenus au galop, et j’ai recommencé à espérer trouver un jour mon Graal masculin. Si bien que, lorsque j’ai rencontré Rafael, un garçon hyper charmant, gentil et brillant, j’ai tout fait pour le repousser. Piégée par mon étroitesse d’esprit, je n’arrivais pas à le considérer comme un candidat sérieux. Comment aurais-je pu tomber amoureuse de lui? Rafael était trop petit, voyons! Et pas québécois, en plus. Et infirmier! Puis trop sérieux. Et pas assez branché… C’est une psy formidable qui m’a aidée à comprendre combien j’avais trop idéalisé l’amour et combien il était temps que je change ma perception des choses. Elle avait raison. N’était-ce pas cette recherche obsessionnelle, sans issue, de l’homme parfait qui m’avait rendue aussi sensible aux avances d’Annie-Claude? Et n’était-ce pas grâce à Annie-Claude – la seule pour qui j’avais laissé tomber tous ces critères irréalistes – que j’avais finalement pu me laisser aller à des sentiments amoureux?

J’ai compris qu’il me fallait donner une chance à Rafael. Il était temps que j’abandonne cette vision très précise que j’avais de l’amour et du format dans lequel il devait se présenter. Certes, mon prétendant n’avait rien du Québécois branché-intello-coureur-des-bois-occasionnel imaginaire sur lequel je fantasmais. Mais il était réel et tout aussi parfait, à sa façon. Je sais aujourd’hui que j’ai eu raison de tenter le coup: nous sommes ensemble depuis trois ans et c’est l’amour de ma vie. Je peux tout partager avec lui. Nous habitons avec son fils de 15 ans et nous souhaitons très fort avoir un petit bébé.

Je n’aurai jamais honte de mon idylle avec Annie-Claude. Au contraire. Elle a grandement contribué à faire bouger quelque chose en moi et m’a poussée à modifier ma façon de penser. Je ne regretterai jamais son passage dans ma vie car, sans elle, je suis persuadée que je n’aurais pas ouvert les yeux à temps et que je serais passée à côté du bonheur.