Loisirs et culture

Rencontre avec Mélissa Désormeaux-Poulin

Rencontre avec Mélissa Désormeaux-Poulin

Mélissa Désormeaux-Poulin Photographe : TVA Publications / Bruno Petrozza Auteur : Josée Larivée

Loisirs et culture

Rencontre avec Mélissa Désormeaux-Poulin

Après avoir grandi à l’écran, elle a su s'affranchir du regard des autres. Portrait d'une comédienne animée d'une douce folie.

Dans une école de danse de Montréal, en 1986, une fillette de cinq ans qui vient de terminer son cours, son léotard sous le bras, s'avance seule à une table qui lui arrive au menton. Elle a beau n'être qu'à la maternelle, elle a bien compris que les gens devant elle sont là pour recruter des enfants qui feront de la télévision. Elle est allée donner son nom. «Après coup, mes parents m'ont dit: "Mélissa, qu'est-ce que t'as fait là?"» Mélissa Désormeaux-Poulin venait de marquer d'un trait le cours de sa vie.

«J'ai vécu des affaires d'adultes très tôt, admet-elle. À sept ans, je voulais boire du vin, porter des talons hauts et avoir des seins. J'avais des amoureux. Je voulais être une femme!»

Une enfant de la télé

Même si elle souhaiterait pour ses propres filles une enfance plus insouciante que la sienne, elle assure qu'elle a eu une enfance heureuse. «Ils se sont mis à trois, et même à plusieurs, pour me bâtir», dit Mélissa, avec beaucoup de poésie. «Ma mère s'est remariée avec un homme qui m'a apporté plein de choses, car il était très différent de mon père. Ensemble, ils m'ont donné une sœur et un frère. Et mon père, lui, a eu plusieurs blondes. Toutes des femmes qui m'ont nourrie, elles aussi. Mon père était un homme à femmes. Mais je ne me suis jamais sentie menacée par ces femmes-là. Elles rendaient mon père heureux. J'arrivais chez lui, et il était de bonne humeur. J'adorais avoir une présence féminine dans la maison.»

De toute façon, vers huit ou neuf ans, Mélissa menait déjà sa barque. Sa carrière, amorcée à six ans - elle vantait les mérites d'une boîte de céréales -, ne s'est jamais arrêtée. Elle fréquentait une école axée sur les arts. Puis, à l'adolescence, le divorce de ses parents l'a menée à une école privée, où elle a suivi un programme arts-études, qui se déroulait de 7 h à 13 h. Après, les studios de tournage l'attendaient. «Personne ne m'a poussée à faire ça. Mais ce n'est pas normal, à neuf ans, d'avoir des responsabilités d'adulte, de gagner autant d'argent et de s'inquiéter de sa popularité auprès du public. Dieu merci, la gloire ne m'est pas tombée dessus à ce moment-là. Mais j'ai appris très vite ce qu'il faut faire pour plaire. Durant l'adolescence, on a besoin de confronter l'autre, de dire ce que l'on pense vraiment. J'avais déjà appris à m'effacer pour plaire aux autres. Retrouver qui l'on est, ensuite, c'est plus difficile.»

Peut-être est-ce pour cela qu'elle souhaiterait garder ses filles loin des projecteurs, même si elle est bien consciente que ce n'est pas elle qui décidera. Pour l'instant, ce n'est pas ce qui se dessine pour son aînée, Léa, neuf ans. «Elle est extrêmement sérieuse, bien plus que moi, et peut-être même qu'elle souffre un peu de voir sa mère se balader avec des chapeaux qu'elle juge trop excentriques!» Sa cadette, Florence, n'a que trois ans, alors qui sait?

«En devenant parent, admet-elle, on comprend tant de choses. Ma mère était une féministe militante et une professionnelle accomplie. La vie l'a amenée à m'envoyer à la garderie à trois mois. Et je suis très fière d'elle. Pour ma part, je ne voulais pas laisser à d'autres femmes le privilège d'élever mes filles. Je me sentais coupable de les "laisser là". Mais je constate que Florence y est heureuse. Et je remarque que mon chum ne se demande jamais s'il est un bon père quand il dépose les enfants à la garderie! Pourquoi nous, les mères, portons-nous ça sur nos épaules? J'ai appris que la culpabilité est une manière (vaine) d'avoir le contrôle sur une émotion qui nous envahit et contre laquelle on ne peut rien. "Je ne peux pas remédier à une situation, alors, au moins, je me sentirai coupable!" J'ai fait une belle thérapie pour comprendre ça! En donnant la vie, un magnifique privilège, j'ai compris le vrai sens du mouvement féministe. Célébrer la maternité sans s'y perdre, c'est délicat.»

Savoir se connaître

À 34 ans, la jeune femme a quand même une bonne idée de qui elle est. «Mélissa est dans une recherche de vérité constante, dit sa grande amie Mélanie Morache. Elle ne veut jamais rien laisser en suspens, tient à clarifier ses relations, répète qu'elle veut vivre dans la vérité. Elle mène une vie de fou, mais semble avoir le temps pour chaque individu, pour chaque détail, pour chaque problème. J'ai trois enfants et une vie professionnelle, et je dois pédaler pour tout faire. Elle a une carrière bien plus prenante, mais ça ne paraît pas. Elle est très rigoureuse et ne déroge pas à la routine qu'elle s'impose.»

La comédienne Lilà Mourmant, son amie, en remet. «On n'a pas idée de la vie que peut mener une comédienne demandée comme Mélissa. Quand elle a tourné dans 30 vies, son horaire était dément. Elle apprenait les textes de trois shows en même temps pendant que sa fille aînée faisait une mononucléose. Elle devait se lever à 4 h du matin, juste pour avoir une heure pour elle! Les comédiens se trouvent souvent sur les plateaux dès 5 h. Mélissa terminait sa journée de travail à 18 h. Elle consacrait deux heures d'étude à la série Mensonges et une heure à la série Ces gars-là. Entre-temps, elle devait se trouver une robe pour les Gémeaux. Et elle en passe du temps sur le divan avec ses filles, à jouer, à les cajoler. Elle a aussi une vie de couple. Et si je lui téléphone parce que je vis une crise existentielle ou que j'ai le cafard, est-ce qu'elle me dit qu'elle n'a pas le temps? Jamais! Sa vie n'est pas ordinaire, et ça prend quelqu'un d'extraordinaire pour suivre ce parcours-là.»

Le sens de la vie

Ce sont des morts tragiques, survenues près de Mélissa, qui lui ont permis de toucher à l'essentiel. «La mort de proches m'a donné l'impression qu'on a tous une mission à accomplir sur terre. C'est injuste, car notre mission nous est inconnue et, quand on l'a accomplie, on s'en va. J'ai perdu une grande amie, il y a huit mois. Une fille qui accueillait ma folie. Une maman de trois enfants, décédée soudainement à 35 ans. Les pourquoi ne règlent rien. Le sens de la vie, c'est de donner le meilleur de soi. Et c'est dur de l'appliquer au quotidien, cette petite philosophie-là.»

Ce n'était pas la première fois que la mort subite frappait l'entourage de Mélissa. Son père, Jean Désormeaux, a été emporté par une crise cardiaque il y a six ans. Sans dire au revoir. «Mon père était un artiste. Je tiens ça de lui. Il était prof de littérature et un amoureux de Brel, de Languirand. C'était un marginal, un poète des temps modernes, doté d'une belle folie. Il me l'a léguée, aussi.» Jean Désormeaux déménageait tous les deux ans et, chaque fois, il fallait remballer son imposante bibliothèque. «J'en ai hérité. Dans ses livres, il a laissé des écrits. Des pensées sur la vie et des notes à mon intention. Je découvre qui était mon père à travers ses lectures et ses mots. C'est bouleversant, mais inspirant aussi. Mon père aurait tellement voulu que j'aille à l'université. Il avait peur pour moi. Il était sans doute déçu que je ne fasse pas de grande école. Il n'aura jamais assisté au succès du film Incendies. Il n'a rien vu de la suite. J'espère que, de là où il est, il sait.»

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Un partenariat solide

Si elle réussit si bien, Mélissa le souligne, c'est peut-être parce qu'elle ne marche pas seule dans la vie. Son Jonathan, le père de ses enfants et l'amour de sa vie, est à ses côtés depuis bientôt 20 ans! «J'avais 15 ans quand on s'est connus. Ce n'est pas à la mode d'être ensemble aussi longtemps ni depuis un si jeune âge, et pourtant... Il me donne confiance en moi, il me pousse à être une meilleure femme. Il est mon repère et mon refuge. Mon métier m'amène à aller dans toutes sortes de zones sombres. Le soir, je retrouve une vie saine et équilibrée. Jonathan est toujours là pour moi. C'est un véritable partenaire. Je suis libre de grandir à côté de lui. J'ai la certitude de l'aimer profondément et j'ai la très grande chance d'être aimée de la même manière. C'est une relation qui évolue dans la confiance. Et, pour nos 20 ans ensemble, on songe à se marier.» Elle a l'œil brillant. «Belle folie, hein?» Au moment où vous lisez ces lignes, Mélissa organise déjà la noce. L'amour n'a qu'à bien se tenir.

5 moments forts de sa carrière

1. À vos marques... party!: «J'avais 25 ans, un bébé de trois mois, et c'était mon premier rôle au cinéma. Avec ce film, j'ai compris que j'étais à ma place, même si j'avais un parcours particulier et que j'étais autodidacte... J'étais comédienne dans l'âme et, ça, personne ne pourrait me l'enlever.»

2. Incendies: «Ce projet est l'une des plus belles choses qui me soient arrivées. Surtout pour ma rencontre avec Denis Villeneuve, un être attachant, d'une intelligence et d'un savoir-faire percutants.»

3. Gabrielle: «Gabrielle Marion-Rivard, qui incarne le personnage principal, est atteinte du syndrome de Williams. Elle dit tout ce qu'elle pense, elle rit tout le temps, elle est toujours dans la vérité. Ce lm a apporté un grand vent de fraîcheur dans ma vie. J'ai gagné mon premier Jutra grâce au rôle que j'y tenais.»

4. 30 vies: «C'est un marathon que je suis fière d'avoir accompli. Une quotidienne, c'est un train dans lequel on embarque et qui ne s'arrête pas. C'est exigeant mais aussi très formateur. C'était la première fois que je travaillais avec Fabienne Larouche, ce monument de la télévision. On dirait que je n'ai plus peur de rien... ou presque!»

5. Ruptures: «Un projet dirigé par Mariloup Wolfe, une femme que j'adore et admire. Elle travaille dans la bonne humeur et l'amour, mais avec rigueur.»

En rafale

  • Mon principal défaut: Trop curieuse... Poser trop de questions, ça me place dans de drôles de situations!
  • Ce que j'apprécie le plus chez mes amis: Leur façon de voir la vie, leur générosité, leur humour coloré. 

  • Ce qui me touche chez un homme: Son sens de l'humour, sa répartie.
  • Et chez une autre femme? Son assurance, son audace. 

  • Ma conception du bonheur: Quand rien n'est compliqué, avec mon amoureux, mes enfants, mes amis, ma famille... 

  • Un moment de grâce: Quand les atomes entre deux êtres humains se touchent. Lorsque survient un fou rire incontrôlable. Lorsque j'ai l'impression que le temps s'arrête et que je peux voir mes flos grandir.
  • Un don de la nature que j'aimerais avoir: Cuisiner comme une reine.
  • Une chose que je retiens de ma mère: Les quatre accords toltèques (Que ta parole soit impeccable; Ne réagis à rien de façon personnelle; Ne fais pas de suppositions; Fais toujours de ton mieux). 

  • Et de mon père: Ne jamais arrêter de rêver. 

  • Si je rencontrais Mélissa à 18 ans, je lui dirais: «Sois dans le moment présent et fais confiance à ton instinct, ça ira bien.» 

  • Une chose que je veux faire avant la fin: Vivre ailleurs avec ma famille, pour apprendre une autre langue, une autre culture. 

  • Une devise: Aime, écoute, parle, donne, partage, profite, fais confiance, pardonne. 

  • Si Dieu existe, j'imagine qu'il me dira à mon arrivée là-haut: «Merci pour tout!»
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