En 2005, selon Cosmebio, il existait grosso modo une cinquantaine de marques beauté bios sur le marché mondial, toutes assez semblables, dont la majorité était distribuée dans les magasins d’aliments naturels au Québec. Aujourd’hui, ce sont plus de 450 marques et 9000 produits labellisés qui sont offerts dans les pharmacies, les épiceries, les parfumeries, les boutiques beauté spécialisées et les sites de vente en ligne. Le bio s’est développé, il s’est diversifié, il a grandi. Si bien qu’aujourd’hui il n’existe plus un bio, mais des bios. Weleda, marque pionnière en la matière – créée en 1921 – ne ressemble pas à Melvita, à Couleur Caramel ou à Phyt’s, qui est moins grano, plus sophistiquée. La clientèle aussi a bien changé. Les «vert foncé», ces adeptes de la première heure, pour qui acheter bio était un acte militant de défense de l’environnement, ont progressivement été rattrapés par les «vert clair», ces consommateurs de cosmétiques classiques à l’affût de la nouveauté et ouverts à la «vague verte» tant en matière d’alimentation que d’hygiène de vie.

Un marché porteur?

Chez nos cousins français, le développement accéléré du bio a eu lieu en 2005. Et le Québec lui a emboîté le pas. Cette année-là, un reportage de l’émission d’affaires publiques Envoyé spécial, diffusée ici comme en France à une heure de grande écoute, a fait scandale en mettant en cause l’innocuité de certains composants chimiques présents dans les cosmétiques. Il n’en fallait pas plus pour semer le doute envers la cosmétique traditionnelle, et déclencher un engouement massif pour le bio. Entre 2005 et 2008, le marché a explosé et quantité de nouvelles griffes ont fleuri. La plupart d’entre elles se conforment à la charte Ecocert, créée en 2003; celle-ci garantit dans un produit la présence de 95% de composants naturels, dont 10 % bio, et ne tolère que l’«utilisation d’ingrédients issus de ressources renouvelables et transformés par des procédés respectueux de l’environnement». En clair, bye-bye pétrochimie, organismes génétiquement modifiés (OGM), silicones, polyéthylèneglycols (PEG)… Et la traçabilité des filières est hautement surveillée.

«Pourtant, on n’a pas assisté à une 
importante vague envahissant le marché,
mais plutôt à une discrète lame de fond,
 qui se poursuit aujourd’hui», explique
 Pierre Bisseuil, directeur de recherches à
 l’agence Peclers. De fait, la progression a
 vite ralenti, et beaucoup de marques n’ont pas tenu dans ce marché très concurrentiel. La sensorialité des textures, le plaisir des sens et l’efficacité n’étaient pas toujours au point. Et les huiles essentielles, potentiellement allergisantes et massivement utilisées dans ces soins «naturels», ont laissé quelques souvenirs cuisants… Aujourd’hui, le bio ne représente en France que 3 % de parts de marché (selon Cosmebio), et entre 1 et 2 % au Canada (selon Druide). On dit oui au bio, mais pas à n’importe quel prix: on veut apporter une solution à une problématique ou à un besoin (en matière de soins capillaires ou cutanés) tout en se faisant plaisir. Donc, face à nos exigences légitimes de consommatrices, et devant l’arrivée sur le marché de marques anglo-saxonnes très attrayantes (comme Tata Harper, pour ne nommer que celle-là), certains labos se sont remis en question et ont réagi. Le bio nouveau a donc fini par arriver, prêt à tordre le cou à sa mauvaise réputation.

Des produits moins efficaces?

C’est la question qui persiste quand on parle de soins de beauté bios. La faute revient sûrement aux marques qui, jadis, ne mettaient sans doute pas suffisamment en valeur l’efficacité de leurs produits dans leurs stratégies de communication. «Le bio ne veut pas utiliser le langage de la cosmétique classique. Du coup, il s’est limité dans ses promesses, sûrement trop», dit Isabelle Carron, créatrice d’Absolution, label beauté bio fort populaire en Europe. Pourtant, le bio a beaucoup de potentiel, notamment parce qu’il possède des «textures actives». En clair, ça signifie que les huiles végétales et les ingrédients naturels utilisés pour créer la texture des cosmétiques bios apportent, en plus des actifs eux-mêmes, des nutriments à la peau. Pendant longtemps, le bio a été fondé sur la connaissance empirique des vertus des plantes, sans que celle-ci soit validée par des tests, et peu de choix étaient offerts dans le catalogue des matières premières. Ce n’est plus le cas: «En 1991, on avait à notre disposition moins de cinq ingrédients labellisés bios, déclare Didier Thevenin, de chez Melvita. Aujourd’hui, on en a plus de 900.» Et chaque année, une centaine de nouveaux ingrédients viennent enrichir cette palette. «Pour tester nos produits, nous utilisons les mêmes protocoles et nous faisons appel aux mêmes labos indépendants que les marques traditionnelles, explique Claire Pelé, responsable de la communication scientifique chez Sanoflore (qui appartient au groupe L’Oréal depuis 2006). Nous comparons nos résultats à ceux des produits conventionnels reconnus, dans le but de faire mieux. Quand les résultats des tests ne sont pas satisfaisants, nous retravaillons le produit.»

Le plaisir en plus?

Toutes les marques qui ont planché sur la sensorialité des soins et des produits de maquillage le confirment: formuler du bio, c’est un métier à part, qui requiert une expertise. D’ailleurs, certaines écoles – comme l’Isipca, l’Institut supérieur international du parfum, de la cosmétique et de l’aromatique alimentaire, situé à Versailles – ont créé une filière verte. Car, en effet, «gérer» des matières premières naturelles potentiellement imprévisibles et qui interagissent les unes avec les autres demande un savoir-faire pointu, voire carrément spécial. Un exemple. Aux laboratoires de Sanoflore, chez L’Oréal, pour remplacer le silicone, les formulateurs ont dû jongler 
avec plusieurs ingrédients, comme
 l’acide hyaluronique, l’aloès et le carraghénane. Et, pour réaliser la texture à la fois consistante et légère de 
la Crème des Reines (best-seller de la marque française), ils sont allés chercher des micas du côté du maquillage et ont créé une nouvelle technologie, demandant un savoir-faire complexe. «Même si on donne la liste des ingrédients utilisés à un formulateur de produits cosmétiques traditionnels, il ne pourra pas obtenir la même chose», assure Claire Pelé. Parfums créés par des nez, présentation en pots (un défi pour des soins qui ne contiennent aucun conservateur traditionnel), textures seconde peau… De plus en plus de marques bios peaufinent leurs produits pour les rendre aussi attrayants que sensoriels et efficaces.

Une tendance de la cosméto traditionnelle?

Même si quantité de grandes maisons de beauté ont toujours fait des soins naturels – des huiles de Clarins 100% végétales créées en 1965 à l’Emulsion Écologique de Sisley lancée en 1980 -, tout le secteur de la beauté a compris qu’il était temps de valoriser ses matières premières végétales, ainsi que l’origine de ses ingrédients.

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Le bio et ses exigences ont eu du bon. Ils ont poussé de nombreuses marques à «alléger» leurs formules. Cela a commencé avec les parabènes et se poursuit avec les silicones, les huiles minérales, le phénoxyéthanol, les phtalates. «De plus, le bio a permis à la filière cosmétique d’investir dans la recherche et de faire des progrès, notamment dans les modes d’extraction « verts ». Il est devenu la « conscience » de la cosmétique conventionnelle», estime Aliza Jabès, créatrice de Nuxe et de Bio-Beauté by Nuxe.

Et l’éthique dans tout ça?

La certification bio ne garantit pas l’aspect développement durable d’une formulation. Mais un adhérent Cosmebio sur deux est déjà engagé dans le commerce équitable. «Éviter la biopiraterie, encourager la biodiversité, garantir un travail décent aux populations, nouer de véritables partenariats à long terme avec des producteurs… Le bio avance dans ce sens», assure Didier Thevenin, de chez Melvita. Aujourd’hui, nous sommes beaucoup plus soucieux des aspects humain et environnemental. Même des poids lourds de la cosmétique, comme Chanel à Madagascar ou Dior au Burkina Faso, ont par exemple des programmes de solidarité avec des villageois qui récoltent certaines plantes rares. Le cas des laboratoires Pierre Fabre, dont le siège social est situé dans le sud-ouest de la France, est aussi très intéressant. Ses marques ne sont pas labellisées bios, parce qu’elles s’autorisent certains procédés interdits par la charte. Pourtant, depuis sa création, le groupe a toujours valorisé les cultures bios, les cultures locales, la biodiversité, la chimie verte, le commerce équitable. Aujourd’hui, Pierre Fabre est le premier laboratoire cosmétique au monde à avoir reçu la norme AFAQ 26000 développement durable (émise par Ecocert). «Celle-ci va beaucoup plus loin que le bio. Elle concerne l’ensemble de l’engagement de la marque sur les plans environnemental, sociétal et économique, et pas seulement concernant la qualité du produit. C’est une certification très lourde. On va même jusqu’à vérifier l’égalité des salaires hommes-femmes dans l’entreprise», explique Séverine Roullet-Furnemont, directrice de l’environnement et du développement durable du groupe.

Le bio a été utile pour faire évoluer les mentalités et les façons de faire en matière de produits de beauté. Aujourd’hui, il n’apparaît plus comme une fin en soi mais comme une étape à intégrer et à dépasser, dans l’élaboration de nouveaux soins de beauté.

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