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Peut-on s'aimer sans faire l'amour?

Peut-on s'aimer sans faire l'amour?

Auteur : Coup de Pouce

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Peut-on s'aimer sans faire l'amour?

On peut bien discuter ouvertement de nos angoisses, de nos complexes ou des meilleurs moyens de se débarrasser d'une vaginite, il y a tout de même une réalité de la vie qu'on préfère taire. On l'aura deviné, ça a un rapport direct avec le sexe. Ou plutôt avec l'absence de sexe. Chut, moins fort! Ce n'est pas quelque chose qu'on a l'habitude de crier sur les toits, surtout quand on vit en couple et que notre moyenne au bâton est tranquillement passée de 2,2 par semaine à 2,2 par mois... quand ce n'est pas par trimestre ou par semestre.

En fait, on ne veut tellement pas que ça se sache qu'il a fallu sonder plus d'une quarantaine de femmes pour en trouver quelques-unes prêtes à en parler. Si certaines ont clamé haut et fort: «Fiou, ce problème ne me concerne heureusement pas», d'autres ont parfois longuement hésité avant de bredouiller: «Non, non, tout va bien de ce côté-là dans ma relation...» Et puis, il y a celles qui ont osé. Osé avouer qu'elles ne faisaient plus très souvent l'amour, osé avouer qu'elles y trouvaient aussi parfois leur compte.

«Nous, on peut facilement passer six mois sans avoir de rapports sexuels, admet Lucie, 38 ans. Ce n'est pas qu'on ne s'aime pas ou qu'on ne se désire plus, mais nos carrières respectives prennent tellement de place qu'on est trop crevés le soir pour seulement y songer. Et puis, avec un condo en construction et des cours du soir, on ne peut pas espérer faire de miracles.» Pour Catherine, 42 ans, le fait d'en parler prend des allures de coming-out: «Personne ne le sait autour de nous, à part ma soeur, qui trouve ça épouvantable. À ses yeux, je passe à côté de la vie et je vais finir par me dessécher comme un vieux pruneau. Que je sois heureuse ainsi lui importe peu. Elle est sûre que, tôt ou tard, je vais le regretter. Alors, maintenant, c'est quelque chose que je préfère garder secret. Je n'ai pas envie qu'on me prenne en pitié ou qu'on me juge.»

Une situation plus fréquente qu'on pense
Dans notre société où le sexe est omniprésent, il semble en effet tabou d'admettre que l'essentiel des prouesses au lit de notre couple se résume à repousser l'édredon, se couler entre les draps et compter les moutons. «Être en couple et ne pas avoir de sexualité, socialement, ce n'est pas acceptable, confirme Serge Tremblay, psychologue. Nous vivons dans un environnement axé sur le plaisir et la consommation. Alors, si on vit à deux, on doit en profiter.» Et puis, avoir des contacts physiques de temps à autre est considéré comme un besoin physiologique aussi essentiel à notre survie et à notre bien-être que le fait de boire et de manger.

Pourtant, des indices nous portent à croire que cette situation est plus fréquente qu'on ne le pense. Le magazine Newsweek affirmait en 2004 que 15 % à 20 % des couples se laissent aller aux joies du sexe moins de 10 fois par année, ce qui les range dans la catégorie des «mariages sans sexe». Un sondage sur les pratiques sexuelles des Québécoises mené par Léger Marketing en février 2005 concluait que 20 % des Québécoises ne font l'amour que deux ou trois fois par mois en moyenne et 25 % le font une fois par mois ou moins. Encore plus troublant: pour 24 % d'entre nous, le sexe est un aspect peu important de notre vie, et 3 % estiment même qu'il n'est pas du tout important.Quand la panne est temporaire
La plupart des couples connaissent, à un moment ou un autre, un passage à vide dans leur vie sexuelle. Il peut être dû à un événement difficile (maladie, dépression, emploi perdu) ou à des circonstances qui laissent peu de place à la vie amoureuse (arrivée des enfants, surcharge de travail, soucis qui ne lâchent pas prise). Dans tous les cas, le résultat est souvent le même: le couple s'oublie et le désir vient à manquer dans la chambre à coucher. Une fois passée la lune de miel des débuts, quand il devient moins impératif de se dévorer tout rond à la moindre occasion, c'est la vie, tout bêtement, qui reprend. Et le quotidien, avec son lot de responsabilités, peut prendre toute la place, laissant la sexualité en plan. «Quand on est trop prise par le quotidien, il y a en effet de fortes chances qu'on s'investisse moins dans son couple, explique Manon Chrétien, sexologue clinicienne et psychothérapeute. Et en n'accordant pas d'importance au couple, en ne s'accordant pas de moments d'intimité - du bon temps à deux pour aller au resto, par exemple -, on perd l'occasion de se rapprocher et de nourrir notre désir sexuel.»

Nicole, 40 ans, ne peut s'empêcher d'évoquer avec nostalgie la belle époque, celle d'avant les enfants. «Je me rappelle comme si c'était hier qu'on s'était demandé, mon chum et moi, ce qui pourrait bien nous empêcher de faire l'amour chaque jour. La perspective de sauter ne serait-ce qu'un soir nous paraissait tellement improbable que le seul motif valable qu'on avait trouvé était bêtement l'après-accouchement. Pourtant, il faut voir à quoi nous en sommes réduits aujourd'hui: une fois par mois, et encore. Est-ce qu'on s'aime moins pour autant? Vraiment pas. On n'arrête pas de se répéter que c'est temporaire et que nos trois enfants vont finir par grandir.»

Des pannes de désir temporaires, ça arrive, et il ne faut pas en conclure que notre couple est en péril pour autant. «Quand un couple a moins de relations sexuelles, ça ne veut pas forcément dire qu'il n'est plus en amour, dit Laurie Betito, psychologue et sexologue. Il est tout à fait normal de voir sa libido fluctuer: on ne peut pas toujours éprouver le désir des premières années, ce n'est pas réaliste. Avec le temps, l'amour se solidifie, devient plus profond. Alors, si ça ne tenait qu'au sexe, le taux de divorce serait de 95 % au lieu de 50 %! C'est l'intimité qui fait durer un couple, pas la sexualité. Il est rare qu'un couple soit toujours sur le même beat au lit, sauf au début de la relation.»

La sexualité: bien plus que le coït!
Attention, toutefois, à ce que la situation ne devienne pas problématique en perdurant. «Le risque si on s'enlise trop longtemps dans ce genre de situation, c'est que ça nous mène à éviter les rapprochements, de peur d'attiser le désir de notre partenaire chaque fois qu'il y a des moments de tendresse, des enlacements ou des baisers», dit Manon Chrétien. Non pas que le sexe ne nous tente plus, mais l'éloignement se traduit par une gêne de se retrouver: on devient gauche, mal à l'aise dans les moments d'intimité et on les repousse de peur de ne plus être à la hauteur ou même de ne plus trop savoir comment s'y prendre! Pour éviter ce piège, il est bon de se rappeler que la sexualité, c'est bien plus que le coït, comme le précise Laurie Betito. «Ça comprend aussi l'affection, la tendresse, les caresses. Donc, un couple qui ne fait pas l'amour n'est pas nécessairement malheureux ou insatisfait, parce qu'il y a plusieurs façons de se montrer qu'on s'aime. Il faut regarder l'ensemble des comportements et l'affection qui naît de l'intimité, car elle est plus importante que le sexe. D'ailleurs, si ça passait juste par le coït, on aurait toutes des problèmes, car on traverse toutes un jour ou l'autre des périodes de sécheresse!»Faut-il s'en accommoder?
Louise, 48 ans, vit une relation amoureuse où la sexualité prend très peu de place et cela la satisfait. «C'est tellement apaisant, une relation qui repose principalement sur l'envie de partager notre quotidien avec quelqu'un qui nous appuie, nous écoute, nous respecte et nous entoure de tendresse sans que ça passe nécessairement par la chambre à coucher, dit-elle. J'ai connu plusieurs hommes, et Jean, avec qui je partage ma vie depuis maintenant cinq ans, est celui qui me correspond le mieux. On ne fait peut-être pas l'amour très souvent, mais je n'ai jamais été aussi épanouie, aussi heureuse. Il est mon âme soeur, mon confident, mon soutien moral et, à l'occasion, mon amant. Que demander de plus?» Rien, en effet, tant que les deux conjoints sont à l'aise avec cette situation. D'autres, sans nécessairement en faire un choix aussi délibéré, vont s'accommoder de la situation pour d'autres raisons. «Il y a des couples qui vont dire: "On a d'autres satisfactions: l'amitié, sauver la famille, la satisfaction d'être avec quelqu'un, la sécurité (qui devient de plus en plus importante à mesure qu'on avance en âge), le soutien, le partage des responsabilités financières." Ça devient une relation amoureuse axée sur le compagnonnage», explique Serge Tremblay.

Pourtant, Stéphanie, 34 ans, se désole, justement, d'être devenue la «compagne» de son amoureux de sept ans. «Ça fait tellement cliché, mais la vie nous a rattrapés: les boulots prenants, les enfants, la maison... tout concourt à faire qu'on se retrouve complètement épuisés le soir. Quand mon chum me tend la main pour entamer quelque chose au lit, je suis trop crevée, et quand c'est à mon tour d'avoir envie, il me sert la même sauce! Ça a beaucoup changé la dynamique entre nous: plutôt que de nous embrasser, nous caresser ou nous coller à la moindre occasion, nous nous contentons souvent d'un baiser furtif sur le pas de la porte. Faire l'amour me manque énormément, et je sais que ça manque aussi à mon chum, mais je vois mal comment nous pourrons prendre le dessus sur ce rythme de vie...» Selon Manon Chrétien, très souvent, un couple peut tenir sans sexe à court terme, car l'un ou l'autre va assumer ce manque par dépit: «Il va refouler sa sexualité au profit de la relation. Mais il ne sera pas pleinement heureux et, tôt ou tard, le naturel va revenir au galop.»

Il ne faut pas se le cacher, beaucoup de couples vont donc éclater, faute de rapports charnels. Pour soutenir les fondations d'une relation, le sexe est tout de même un ciment extrêmement solide qui a fait ses preuves, en plus de représenter un besoin physiologique que la plupart des individus cherchent à combler. S'il s'ébrèche ou s'effrite, tout peut s'écrouler. «La sexualité renforce la relation, souligne Serge Clément. Elle crée des rapprochements et un sentiment de bien-être, car l'orgasme sert à enlever la tension. Avoir des relations sexuelles, c'est un facteur de santé physique et mentale. Ne plus en avoir, c'est souvent l'indice que les choses vont un peu moins bien.»La fin des haricots?
Tant que les deux conjoints n'en souffrent pas, passe. Si réellement, ils sont heureux dans cette situation, le couple n'est pas menacé. Mais, lorsque l'un des deux reste constamment sur sa faim, il ne va pas se rassasier bien longtemps de chastes baisers ou de caresses dans le dos. Et c'est là que les problèmes surgissent. «Le barème, c'est la souffrance, précise Manon Chrétien. Si l'un des deux souffre de l'absence de sexualité, cela se traduira assez rapidement par une frustration qui minera le couple. À long terme, il y aura plus de chicanes que de joies. Sans parler des infidélités qui peuvent en découler. Alors, est-ce qu'on peut continuer à vivre ensemble quand on sent qu'il y a une insatisfaction d'un côté ou de l'autre? Non. Et si on se demande ce qu'on rate en passant à côté de la sexualité dans le couple, eh bien, la réponse est simple: ce qu'on rate, c'est le couple!»

Pour relancer la machine, il faut se demander comment on en est arrivés là, pourquoi le désir n'est plus au rendez-vous et ce que ça prend pour l'attiser. «Pour ça, on doit s'écouter et se parler, dit Laurie Betito. Et vite. Ensuite, il est important de se consacrer du temps, de créer des situations où l'on s'amuse et d'avoir des projets communs, tout comme il est important d'expérimenter au lit.»

Plus on laisse traîner les choses, plus il devient ardu de rallumer les braises. «C'est ce qui arrive entre autres aux couples avec enfants: ils n'ont plus d'intimité affective et sexuelle, et ils ont de la difficulté à se retrouver et à sortir de leur contexte de parents, relève Serge Tremblay. Parfois, pour rallumer la flamme, il suffit juste de partir un week-end en amoureux ou de se voir dans un café ou un bar.» Et comme l'appétit vient en mangeant, il ne faut pas hésiter à mettre les bouchées doubles. Oui, ça demande du temps, de l'énergie, des efforts. Mais si ça permet de préserver une relation qui nous réserve encore bien des années d'amour, de tendresse et de sérénité, le jeu en vaut certainement la chandelle.

Pour en savoir plus:
  • Cures de rajeunissement pour vos relations sexuelles, par Danie Beaulieu, Impact Éditions, 2003, 263 p., 24,95 $.
  • L'amour sans le faire: comment vivre sans libido dans un monde où le sexe est partout, par Geraldin Levi Joosten-van Vilsteren, Favre Éditions, 2005, 269 p., 42,95 $.
  • L'Intelligence érotique, par Esther Pérel, Laffont, 22007, 313 p., 29,95 $.
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