Psychologie

Que doit-on à nos parents

Que doit-on à nos parents

Que doit-on à nos parents Photographe : Steve Adams Auteur : Isabelle Bergeron

Psychologie

Que doit-on à nos parents

Quand la vieillesse commence son érosion sur nos parents, prendre soin d’eux va de soi pour plusieurs. Pour d’autres, la question est beaucoup moins évidente. Une situation qui bouscule bien souvent les coeurs... et les consciences.

«J’ai souvent été confrontée au jugement des autres quand je mentionnais que je n’allais voir ma mère, qui vit dans un centre de soins de longue durée depuis quatre ans, qu’une fois par mois, explique Anne, 39 ans. Avant, je sentais le besoin de me justifier, alors je racontais toute mon histoire, mais aujourd’hui, je n’y fais tout simplement plus allusion. Je garde ça pour moi.»

Ce que cette maman d’une fillette de trois ans garde pour elle, c’est sa relation pour le moins houleuse avec une mère aux prises avec des problèmes de santé mentale, lesquels n’ont fait que s’aggraver au fil des années. C’est aussi d’avoir choisi, un jour, de ne pas se sentir responsable de l’état de sa mère ni de son bien-être au quotidien. «Bien entendu, je me suis souvent demandé si je devais mieux m’occuper d’elle, si j’allais le regretter quand elle ne serait plus là, si j’allais en payer le prix. Un réflexe très judéo-chrétien!»

Mais cette notion de devoir à l’égard de nos parents n’est plus si forte aujourd’hui, contrairement, par exemple, à certains pays d’Asie, comme le Japon, la Corée ou la Chine. D’ailleurs, en Chine, une loi oblige même les enfants à ne pas négliger leurs parents vieillissants et à les visiter régulièrement, même s’ils habitent loin, sous peine d’amende ou d’emprisonnement. Ici, personne n’ira en prison s’il n’accompagne pas ses parents vieillissants comme d’autres pensent qu’il le devrait. «Ma relation avec ma mère a toujours été difficile, et j’ai toujours limité nos rencontres, raconte Anne. Aller la voir une fois par mois est le maximum que je peux donner sans me brûler. Je pense sincèrement que, si un parent n’a pas été présent pour ses enfants, s’il les a fait souffrir ou les a négligés, ces derniers ne devraient pas se sentir responsables du parent malade, même quand il est vieux et diminué.»

Agir selon nos valeurs

«On n’a pas de devoir formel à l’égard de nos parents, explique la psychologue Josée Jacques. Ce sont plutôt nos valeurs qui devraient déterminer le rôle qu’on jouera auprès d’eux.» Le respect qu’Anne a pour elle-même l’a orientée dans sa décision de ne voir sa mère qu’une fois par mois. Mais c’est aussi par altruisme qu’elle lui rend quand même visite. «Il m’était impensable de couper complètement les ponts, confie-t-elle. À mes yeux — et à ceux de ma fille —, je veux pouvoir garder la tête haute et dire que j’ai fait ce que j’ai pu pour elle, à la limite de mes capacités.»

Parce que, bien sûr, personne ne peut offrir au-delà de ses possibilités. Et si on tente de le faire, le prix est souvent cher payé. Catherine, 48 ans, en sait quelque chose. Sa mère de 81 ans souffre de la maladie d’Alzheimer. Puisque sa soeur habite aux États-Unis, Catherine en a beaucoup sur les épaules. «Au début, j’ai essayé de tout prendre en charge. Il me semblait que ça allait de soi, et j’avais vraiment le désir de prendre soin de ma mère. Même si je n’étais pas super proche d’elle, je l’aime profondément. Mais en plus de tout le côté administratif — m’occuper des finances, trouver des ressources, etc. —, l’aspect émotionnel était très exigeant. Quand elle restait encore dans sa maison, j’allais la voir tous les jours, je lui parlais, j’étais là. Mais voir sa mère partir petit à petit est tellement difficile!» Sans compter qu’au retour à la maison, Catherine se faisait un point d’honneur d’afficher une mine joyeuse pour ne pas que ses enfants, âgés de cinq et sept ans, aient à subir les chamboulements émotionnels qu’elle vivait. Au travail, elle tentait aussi tant bien que mal de tenir le coup.

«Ce n’est pas que les gens aiment moins leurs parents ou qu’ils les délaissent, mais la réalité des familles d’aujourd’hui pose des difficultés lorsque les parents vieillissants ont davantage de besoins, affirme Isabelle Van Pevenage, professeure de sociologie à l’Université de Montréal et chercheuse au Centre de recherche et d’expertise en gérontologie sociale. Au cours du dernier siècle, l’organisation familiale a subi plusieurs transformations. Maintenant, les femmes se retrouvent sur le marché du travail autant que les hommes, et elles ont des enfants plus tard dans leur vie. De plus, les nouveaux modèles familiaux, comme les familles monoparentales ou reconstituées, complexifient les choses quand vient le temps de prendre soin d’un parent qui en a besoin.» Pour la spécialiste, le problème est en grande partie social. Peu d’argent investi dans les soins à domicile, moins de places dans les CHSLD... «L’État s’appuie sur les réseaux communautaires, explique Mme Van Pevenage. Mais l’aide communautaire n’arrive pas à répondre à la demande!»

Quand on se sent coincée

Il y a un an, Catherine a craqué. «J’avais le sentiment de tout faire à moitié et pas très bien, confie-t-elle. De plus, ma mère vivait souvent des épisodes colériques. Elle était brusque avec moi. Je me sentais dépassée, et coupable de n’être pas à la hauteur.» Qui ne se sentirait pas ainsi dans un tel contexte? Un sondage BMO Nesbitt Burns, paru en 2014, indiquait que 55 % des 45-64 ans — la fameuse génération sandwich — se sentaient littéralement coincés entre les soins nécessités par leurs parents et ceux à apporter à leurs enfants. Un contexte qui force assurément à revoir ses priorités: aspects affectifs, matériels, organisationnels, financiers... «On n’a jamais autant entendu parler de la pression subie par la génération sandwich, remarque la psychologue Patsy Clapperton, cofondatrice d’Umano, une entreprise ayant pour objectif d’accompagner les organisations soucieuses des enjeux du vieillissement de la population. C’est un phénomène relativement nouveau.»

Qu’attend-on de moi? Que puis-je faire? Voilà des questions qu’on se pose inévitablement lorsque la situation se présente. Roxanne, elle, croit qu’on devrait aussi se demander: qu’est-ce que je veux faire? «Je sais que plusieurs personnes ne se donnent pas le droit de se demander ça, car elles croient que ça serait égoïste de le faire, explique la femme de 50 ans. Ce n’est pas le cas, au contraire. Se poser cette question, c’est faciliter la vie de tout le monde.» Pourquoi? Parce qu’on diminue ainsi les risques de craquer; le soutien qu’on choisit d’offrir aura été balisé par les limites qu’on se sera soi-même fixées, et non par celles imposées par la situation, par nos frères et soeurs, voire par nos parents.

«Quand ma mère est décédée, il y a 10 ans, je savais que mon père allait se retrouver un peu démuni et qu’il allait avoir besoin d’aide, raconte Roxanne. Deux semaines plus tard, on s’est assis avec lui et on s’est organisés. J’ai dit à mon père que je l’aimais de tout mon coeur et que j’allais être là pour lui, mais que je devais continuer ma vie aussi: m’occuper de mes enfants, de mon couple, de mon travail... Puis, avec mes frères, on a cherché toutes les ressources auxquelles mon père avait accès, et on s’est arrangés pour qu’il soit OK. Parler ainsi franchement avec mon père a tellement allégé les choses et facilité le quotidien de tout le monde! En plus, en faisant cela, on s’est rendu compte que mon père n’aurait pas aimé du tout qu’on délaisse nos vies, en quelque sorte, pour s’occuper de lui. Ça l’aurait rendu malheureux.»

Des situations souvent délicates

D’autres parents peuvent se montrer plus difficiles, par exemple en ayant des attentes auxquelles leurs enfants ne peuvent répondre. «Ma mère aurait voulu avoir de la visite tous les jours, raconte Catherine. Quand j’ai commencé à espacer mes visites, elle me l’a reproché. J’ai trouvé ça difficile, mais j’ai vu un psychologue, et ça m’a beaucoup aidée à passer au travers.» En pensant davantage à elle et en ne mettant plus sa vie de côté, Catherine a réussi à prendre du recul face à sa mère malade.

À cause de la maladie ou d’un contexte difficile, et souvent bien involontairement, certains parents peuvent devenir toxiques pour leurs enfants. «Si un parent a toujours été désagréable, il ne le deviendra pas moins avec l’âge, dit la psychologue Josée Jacques. Ce n’est pas parce qu’on vieillit qu’on devient nécessairement sage!» Dans ces cas-là, la spécialiste recommande de mettre son masque à oxygène avant de penser à autrui.

Cela peut signifier, comme pour Anne, de limiter les rencontres à un minimum confortable pour soi. Cela peut aussi vouloir dire de prendre en charge ce avec quoi on est le plus à l’aise. Par exemple, Roxanne a pris le rôle de chauffeur désigné et accompagne son père dans plusieurs de ses déplacements, en plus d’entretenir avec lui une relation empreinte de beaucoup de tendresse et d’humanité. «Oui, des fois il me tombe sur les nerfs, parce qu’il est sourd comme un pot, et je dois presque crier quand je lui parle. De plus, il oublie tout, tout le temps. C’est frustrant, par moments. Et oui, ça arrive aussi que je lui serve de chauffeur alors que ça ne m’adonne pas du tout, et ça me force à réorganiser mes journées. Mais aider, c’est ça. Ce n’est ni facile, ni confortable, ni même agréable. Je pense que pour vivre ça le mieux possible, il est essentiel d’accepter cette réalité.»

La clé: en parler

Il faut accepter que les besoins que peuvent avoir nos parents ne soient pas nécessairement ceux qu’on pense. «C’est pour ça qu’on doit leur demander ce qu’ils veulent, pour ensuite voir si on peut répondre à leurs besoins, et comment on peut le faire», explique Isabelle Van Pevenage. «Un de mes frères avait pensé accueillir mon père chez lui, raconte Roxanne. Il était convaincu que c’était lui rendre service et lui faire plaisir. Eh bien, pas du tout! Mon père a dit à mon frère qu’il ne voulait en aucun cas habiter avec son garçon; il l’avait élevé, lui, et c’était bien assez comme ça. Ça nous a fait bien rire!»

«On devra aussi accepter qu’il n’existe pas de pilule magique pour faire disparaître la culpabilité, qui est si commune. Il faut vivre au mieux avec elle», conseille Josée Jacques. Faire plus, faire mieux, faire tout, ces diktats résonneront dans nos têtes, à un moment ou à un autre. On essaie tout simplement — même si ce n’est pas simple — de ne pas y fixer notre attention trop longtemps.

Et comme dans n’importe quelle situation délicate, la communication est notre meilleure alliée. Pourtant, rares sont les personnes qui ont des discussions franches et ouvertes avec leurs parents à propos de la vieillesse, de la maladie et de l’invalidité. Un sondage mené aux États-Unis avançait que seulement un quart de la population le faisait. «Ça éviterait pourtant des problèmes, explique Patsy Clapperton, comme le manque de préparation ou la culpabilité liée au fait qu’on est prise au dépourvu et qu’on ne sait pas quoi faire.»

Une autre alliée sûre: la beauté de certains moments. «Il n’y a pas que des moments difficiles, dit Catherine. Même si m’occuper de ma mère n’est pas toujours facile, il y a des moments extraordinaires qui marquent. Par exemple, quand elle regarde de vieilles photos de sa vie, ses yeux s’illuminent soudainement. Et ma mère, qui n’a jamais aimé être touchée, me prend maintenant souvent dans ses bras...»

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