«Je ne suis pas une conformiste!» annonce-t-elle en me regardant droit dans les yeux, lovée dans un coin retiré de son bistro préféré. Très vite, le ton est donné: la soirée ne sera pas banale. Et c’est tant mieux. Parce qu’on a beau la voir alterner les séries télé à succès (Chambres en ville, Les filles de Caleb, Les Invincibles), les films populaires (La grande séduction, Bon Cop Bad Cop, Nitro) et les films d’auteur (Anne Trister, Love-moi, Comment ma mère accoucha de moi durant sa ménopause, Le démantèlement) depuis ses neuf ans, Lucie Laurier demeure une énigme. Qu’elle entretient savamment, mais qu’on aimerait néanmoins percer.

Dans quelques mois, elle se glissera à nouveau dans la peau de l’ex-conjointe de David Bouchard (Patrick Huard) et mère de Gabrielle (Sarah-Jeanne Labrosse) dans Bon Cop Bad Cop 2. Dix ans après la sortie triomphale du premier opus – qui demeure le plus grand succès du box-office canadien à ce jour –, la nouvelle mouture réalisée par Alain Desrochers (Nitro) promet d’être enlevante. D’ici là, l’actrice de 41 ans prête également ses traits félins à Anouk Laflamme, une enquêteuse de police farouchement intègre, dans la télésérie fantastique Prémonitions… en plus de préparer un premier album. Qu’il est bon de retrouver cette douce indomptable! Morceaux choisis de notre conversation.

«Si on fait abstraction du cinéma de Xavier Dolan, je trouve que l’image de la femme à l’écran a quelque chose de réducteur, ce qui témoigne du peu d’écoute qu’on a à son égard… Je m’en désole.»

L’actrice

«Jouer dans Bon Cop Bad Cop 2, c’est un cadeau de la vie! Je serai de nouveau aux côtés de Patrick [Huard] et de Sarah-Jeanne [Labrosse], et ça me ravit. Nos histoires ont évolué, notre couple s’est transformé, notre fille a grandi… C’est un clin d’œil très sympa pour les spectateurs qui nous retrouveront, 10 ans plus tard. C’est important pour moi de ne pas participer exclusivement à des projets élitistes. J’aime autant pouvoir tourner dans un blockbuster comme Nitro que dans Le démantèlement, un film plus confidentiel. Je suis toujours fière des rôles que j’accepte, mais honnêtement, on me propose peu de choses. Si on fait abstraction du cinéma de Xavier Dolan, je trouve que l’image de la femme à l’écran a quelque chose de réducteur, ce qui témoigne du peu d’écoute qu’on a à son égard… Je m’en désole. Ce serait formidable que plus de femmes écrivent pour le cinéma!»

La musicienne

«Le matin, j’adore écrire. J’écris des chansons et, depuis peu, mes propres mélodies. J’ai un projet d’album – dont je parle depuis au moins 100 ans! (rires) Comme je suis une ultra-perfectionniste malade, j’ai du mal à y mettre un point final. Mais il faut que j’aie le courage de le lancer cette année. Mon projet est « confrontant », dur et pas du tout commercial. Les mots sont crus, bruts. Cet album-là, je l’écris comme mon testament. Pour me libérer. Et pour me dire que si je meurs, on saura ce que j’avais envie de dire…»

«J’en ai ras-le-bol de la rectitude politique. Et j’en ai assez de cette dictature de la femme sage, douce et pacifiée. Je revendique le droit de m’indigner avec autant de panache qu’un homme.»

La militante

«Les propos que j’ai tenus l’an dernier sur la Charte des valeurs québécoises m’ont peut-être nui professionnellement, mais j’étais incapable de ne pas les exprimer… [ndlr: lors d’un débat corsé avec Gabriel Nadeau-Dubois sur le plateau de 125, rue Marie-Anne, elle s’était légèrement emportée. «Ce n’est pas parce qu’on défend le français au Québec qu’on est xénophobe!» avait-elle notamment martelé.] Si je claironne mes opinions aussi fort, c’est que je suis en révolte contre le peu d’écoute qu’on m’accorde d’emblée. Est-ce en raison de mon image de fille sexy? Sans doute, et j’y participe. Oui, j’aime les décolletés plongeants. [Elle fait une pause entre deux gorgées de vin blanc.] Mais j’en ai ras-le-bol de la rectitude politique. Et j’en ai assez de cette dictature de la femme sage, douce et pacifiée. Je revendique le droit de m’indigner avec autant de panache qu’un homme.»

La casanière

«Depuis que je suis revenue de Paris [elle y a résidé de 2008 à 2013], j’habite dans Parc-Extension, un quartier multi-ethnique que j’adore. Je vis seule dans un immense 7 1⁄2 que je trouve… encore trop petit! Oui, j’ai besoin d’espace! (rires) Chez moi, c’est un vrai capharnaüm. Il y a des milliers de livres partout, des photos, des souvenirs. Il y a aussi plein de tissus, des mannequins… car je fais de la couture et je dessine des vêtements. J’aime confectionner des pièces difficiles, des bustiers par exemple, qui demandent un grand doigté. C’est une vraie passion; je peux dessiner et coudre jusqu’à quatre ou cinq heures du matin. Je suis si bien dans ma bulle. D’ailleurs, j’ai beaucoup de mal à sortir de chez moi. Je suis une grande casanière, au grand désespoir de ma mère…»

 

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Crédits: Nelson Simoneau / Robe: Dolce & Gabbana

L’amoureuse

«En couple, je suis entière. J’ai toujours été attirée par des hommes aux univers très éloignés du mien. Le père de mon fils est foreur, un de mes ex-amoureux est spécialiste des effets visuels au cinéma… Je ne me suis jamais vue avec un acteur, et ça n’a pas changé. Avec les années, j’ai vécu des ruptures difficiles qui m’ont fait perdre mes illusions. Mais aujourd’hui, j’ai envie d’être en amour. Je suis prête. Le départ de mon père [décédé en avril dernier] m’a donné envie d’être avec un homme que je connaîtrais pendant 30 ans, 40 ans… Ou à tout le moins, avec qui je vivrais un grand amour.»

La petite soeur

«J’adore ma famille, même si on s’engueule parfois. Quand je pense à elle, les mots qui me viennent, c’est « amour total ». Un amour si profond que ça fait mal. Nous sommes une grande fratrie [elle est la cadette de neuf enfants], et on est très différents les uns des autres. Mes parents étant restaurateurs, ils rentraient souvent très tard, si bien que j’ai surtout été élevée par mes frères et sœurs. On est restés très proches. À Noël, on va se réunir à la maison, en famille. Charlotte, qui vit en Bretagne, et Angela, à Paris, viendront aussi, si elles le peuvent. Mon fils Thimothy, l’amour de ma vie, y sera. Comme il est né à Noël, il y a déjà 24 ans, c’est très significatif pour moi. Il ne manquera que mon père…»

La fille de son père

«Je pense souvent à lui [souffle-t-elle, les larmes aux yeux]. Depuis sa mort, je lui suis reconnaissante de tout ce qu’il m’a appris. C’était un homme autoritaire, qui avait connu la guerre [il avait quitté la France pour émigrer au Québec], et il était très droit. Il ne s’est jamais soucié de ce que les autres pensaient de lui. Je lui suis gré de m’avoir appris à me défendre. Et d’avoir toujours respecté qui je suis. On a souvent eu des divergences, mais on s’est réconciliés. À la fin, il était heureux, plus chill… J’ai vécu sa mort avec lui… [Un ange passe.] Il n’arrêtait pas de me dire: « Ma Lucie, je t’aime tellement! ». C’est une chance de connaître un tel amour. En partant dans la sérénité, il m’a tendu une clé: je vais sûrement m’apaiser moi aussi…»

5 choses qu’on sait moins d’elle

1. Elle a prêté sa voix comme choriste dans la pièce 1990, de Jean Leloup. Elle a aussi chanté avec Bran Van 3000.

2. Devenue maman à 17 ans, elle est la porte-parole officielle depuis 11 ans de l’Envol, un organisme qui aide les jeunes mères en difficulté.

3. Sa mise en scène du spectacle J’aimerais pouvoir en rire, réunissant sa soeur Angela, contorsionniste, et son frère Dominique, atteinte de schizophrénie, a été acclamée en Europe (2010) et au Québec (2011).

4. Outre Paris, elle a également résidé à Los Angeles de 1997 à 2001.

5. En 2015, elle a été approchée par le Bloc québécois qui voulait en faire sa candidate dans l’ancienne circonscription de Gilles Duceppe. Elle a finalement décliné l’offre.